par Chris Simon
J'ai connu la Rue Saint Ambroise par email,
Facebook n'existait pas encore. Une auteure amie m'avait envoyée à New York le
numéro 17, j'y avais découvert de nouveaux auteurs, de nouvelles écritures.
Appréciant le format et le contenu de la revue, j'ai commencé à proposer mes
nouvelles. À la cinquième proposition, le miracle est arrivé : “Voyage dans
l'inconnu” avait retenu l'attention du comité de lecture. Il la publiait. Le
numéro 21 arriva par la poste à Manhattan, une dimension s'ajoutait et un texte
m'avait vraiment touché et emballé, "Dimanche rien" de
Danielle Lambert et, m'habitait encore le 10
janvier 2009 lorsque je me suis rendue à une lecture de la revue qui fêtait ses
dix ans au Café Flore boulevard Saint Germain.
C'était ma première soirée littéraire à Paris. Je rencontrais pour la
première fois le directeur de la revue, Bernardo Toro et, quelques-uns des
membres du comité de l'époque.
Depuis cette soirée, là, je crois que je n'ai raté qu'une seule
rencontre (par étourderie), car je peux confirmer aujourd'hui que la revue m'a
accueillie, m'a permise de donner une pleine existence
à mon écriture et de la vivre au quotidien. La Rue Saint Ambroise ne se résume
pas seulement à une revue, elle est un espace de création, d'échanges. Elle
invite régulièrement auteurs et lecteurs à se lire et s'écouter dans un cadre
amical et détendu. Parisienne depuis deux ans, je suis devenue une fervente
spectatrice de ses soirées.
Dimanche 6 novembre. La revue fête la sortie du numéro 28 à la Maroquinerie dans le 20e
arrondissement. C'est ainsi que par un soir d'automne doux, j'ai pris le métro
Bourse jusqu'à Gambetta, traversé des rues animées et suis arrivée à 18h30 pour rejoindre l'équipe de la Rue Saint Ambroise et
mettre la main à la pâte. Quelques auteurs étaient déjà arrivés et Bernardo,
Françoise Cohen, Elisabeth Lesne, Luc-Michel Fouassier, membres du comité de
lecture s'attelaient aux gestes simples : accueillir les auteurs et le public,
remettre les exemplaires réservés aux auteurs, informer, vendre la revue.
Nous échangeons quelques phrases. Les habitués, les curieux
s'installent sur les chaises alignées, face au proscenium. Une dizaine d'hommes
et de femmes, adossés au comptoir, se retrouvaient en rang à mes côtés :
Elisabeth, mais aussi Derek Munn, Nicolaï Feuillard, Stéphane Olivier, Laurence
Hugues, quatre auteurs publiés dans ce numéro. Leur gentillesse et courtoisie
m'émeut. Family hold
back, l'expression me traverse l'esprit. (formule
consacrée quand on craint de ne pas avoir assez à manger pour les convives, la
famille se sert en dernier).
Je n'avais jamais vu la Maroquinerie si bondée. Après quelques
ajustements de micro réglementaires, Bernardo,
assis à la table de lecture, ouvre la séance de sa voix veloutée, discours bref
et bienveillant. Il présente la soirée, en explique le déroulement et nous
relate ce qui m'apparaît comme un drame : la revue qui existe depuis 12 ans
vient de perdre sa subvention du CNL (Centre National du Livre). Bernado
invite, plus pressent que d'habitude, le public à soutenir la revue en achetant
ce numéro, en s'abonnant, puis laisse place à la première lecture. Ça n'a
jamais été si vital.
Derek Munn, Laurel et Hardy réunis en un seul visage, enchaîne avec un
texte, "La fleur qui marche", suscitant une émotion profonde, On se retrouve
toujours un peu pris en flagrant délit de sentimentalisme quand une écriture
vous touche aussi directement. Il nous en fait goûté deux pages et s'éclipse
derrière Cyrille Pernet, un timide ours bouclé du crâne au menton qui se met à
lire "Jeune et Vierge" très vite, trop vite pour un texte si drôle sur les peurs
enfantines. Les textes s'enchaînent avec Stéphane Olivier et Stéphane Rosière...
Des applaudissements vifs les succèdent.
L'attention augmente dans la salle et, la tension, aussi. Du bar,
j'observe le public et il ne fléchit pas. Les textes tiennent leurs promesses et
les auteurs les défendent avec ferveur et conviction. Personnellement, j'aime découvrir la voix d'un auteur, le
texte me semble tout d'un coup beaucoup plus incarné et l'auteur en révèle le
rythme interne. "En chemin" d'Adriana Langer provoque rires et nombreux
sourires. Le comité de lecture a fait d'excellents choix. Les textes,
extrêmement variés défilent pourtant avec cohérence.
La porte qui donne sur la terrasse couine, deux retardataires entrent,
un peu décontenancés devant la salle comble. Les nouvelles de Cécile-Marie
Hadrien et de Dominique Pascaud passent en un éclair.
Elles contiennent des délices. "Demeure" de Maël Guesdon percute cette
gourmandise avec des phrases courtes au petit vocabulaire de tous les jours et,
ouvre sur une nouvelle série de textes aux phrases et mots calibrés avec "Pour
un jour d'hiver", de Danielle Lambert, lu en duo femme-homme, "Super 8" de
Laurence Hughes, sorte de cauchemar cinétique, "Intermittences" de Myrto
Gondicas flirte avec une exigence poétique et des faits réels. La vague s'achève
avec "La tournée" de Perrine Le Querrec, tout s'accélère dans un tourbillon
jusqu'à épuisement de mes forces. Puis vient s'asseoir d'un pas hésitant,
Nicolaï Feuillard et son "rêve de Calixte" qui ramène doucement du rêve à la
réalité tout en nous en faisant douter. L'auteur lit d'une voix si tendre qu'il
me faut pencher l'oreille. Applaudissements.
Le public reste silencieux un instant, se détend, les lectures
demandent une grande attention. Le directeur de la revue remercie le public, le
convie à rejoindre les auteurs et le comité de lecture pour un verre, un dîner.
C'est possible pour ceux qui ont envie de continuer le partage. Mon dîner en
ville préférée ! Le brouhaha, les grincements de chaises et de la porte se
superposent. Ceux qui n'avaient pas encore acheté la revue, l'achète. D'autres
se jettent sur la terrasse pour fumer, d'autres au bar. Il fait chaud et soif,
toujours, quand les émotions s'en mêlent.
Les auteurs qui publient pour la première fois se tiennent debout
tanguant un peu comme si des vents contraires les empêchaient d'opter pour une
direction. Partir. Ne pas partir trop vite... Rester. Les amis félicitent, des
inconnus aussi parfois et cela fait chaud au coeur.
Je ne sais pas pour vous, mais moi je repars toujours de ces lectures
avec la sensation d'avoir vécue. Je me sens un peu plus pleine, un peu plus
riche. Je ne peux imaginer qu'un tel plaisir disparaisse. La revue invente au
fil des rencontres un espace pour les auteurs et les lecteurs. Elle crée un lien
littéraire, social, d'échanges contribuant au développement de la littérature
d'aujourd'hui et, je l'espère et le souhaite, de celle de demain... Pour
l'auteure, que je suis, Rue Saint Ambroise offre un espace dans lequel j'existe.
Nous avons tous besoin d’exister.
Article extrait du blog de Chris Simon : lebaiserdelamouche.wordpress.com
J'ai connu la Rue Saint Ambroise par email,
Facebook n'existait pas encore. Une auteure amie m'avait envoyée à New York le
numéro 17, j'y avais découvert de nouveaux auteurs, de nouvelles écritures.
Appréciant le format et le contenu de la revue, j'ai commencé à proposer mes
nouvelles. À la cinquième proposition, le miracle est arrivé : “Voyage dans
l'inconnu” avait retenu l'attention du comité de lecture. Il la publiait. Le
numéro 21 arriva par la poste à Manhattan, une dimension s'ajoutait et un texte
m'avait vraiment touché et emballé, "Dimanche rien" de
Danielle Lambert et, m'habitait encore le 10
janvier 2009 lorsque je me suis rendue à une lecture de la revue qui fêtait ses
dix ans au Café Flore boulevard Saint Germain.
C'était ma première soirée littéraire à Paris. Je rencontrais pour la
première fois le directeur de la revue, Bernardo Toro et, quelques-uns des
membres du comité de l'époque.
Depuis cette soirée, là, je crois que je n'ai raté qu'une seule
rencontre (par étourderie), car je peux confirmer aujourd'hui que la revue m'a
accueillie, m'a permise de donner une pleine existence
à mon écriture et de la vivre au quotidien. La Rue Saint Ambroise ne se résume
pas seulement à une revue, elle est un espace de création, d'échanges. Elle
invite régulièrement auteurs et lecteurs à se lire et s'écouter dans un cadre
amical et détendu. Parisienne depuis deux ans, je suis devenue une fervente
spectatrice de ses soirées.
Dimanche 6 novembre. La revue fête la sortie du numéro 28 à la Maroquinerie dans le 20e
arrondissement. C'est ainsi que par un soir d'automne doux, j'ai pris le métro
Bourse jusqu'à Gambetta, traversé des rues animées et suis arrivée à 18h30 pour rejoindre l'équipe de la Rue Saint Ambroise et
mettre la main à la pâte. Quelques auteurs étaient déjà arrivés et Bernardo,
Françoise Cohen, Elisabeth Lesne, Luc-Michel Fouassier, membres du comité de
lecture s'attelaient aux gestes simples : accueillir les auteurs et le public,
remettre les exemplaires réservés aux auteurs, informer, vendre la revue.
Nous échangeons quelques phrases. Les habitués, les curieux
s'installent sur les chaises alignées, face au proscenium. Une dizaine d'hommes
et de femmes, adossés au comptoir, se retrouvaient en rang à mes côtés :
Elisabeth, mais aussi Derek Munn, Nicolaï Feuillard, Stéphane Olivier, Laurence
Hugues, quatre auteurs publiés dans ce numéro. Leur gentillesse et courtoisie
m'émeut. Family hold
back, l'expression me traverse l'esprit. (formule
consacrée quand on craint de ne pas avoir assez à manger pour les convives, la
famille se sert en dernier).
Je n'avais jamais vu la Maroquinerie si bondée. Après quelques
ajustements de micro réglementaires, Bernardo,
assis à la table de lecture, ouvre la séance de sa voix veloutée, discours bref
et bienveillant. Il présente la soirée, en explique le déroulement et nous
relate ce qui m'apparaît comme un drame : la revue qui existe depuis 12 ans
vient de perdre sa subvention du CNL (Centre National du Livre). Bernado
invite, plus pressent que d'habitude, le public à soutenir la revue en achetant
ce numéro, en s'abonnant, puis laisse place à la première lecture. Ça n'a
jamais été si vital.
Derek Munn, Laurel et Hardy réunis en un seul visage, enchaîne avec un
texte, "La fleur qui marche", suscitant une émotion profonde, On se retrouve
toujours un peu pris en flagrant délit de sentimentalisme quand une écriture
vous touche aussi directement. Il nous en fait goûté deux pages et s'éclipse
derrière Cyrille Pernet, un timide ours bouclé du crâne au menton qui se met à
lire "Jeune et Vierge" très vite, trop vite pour un texte si drôle sur les peurs
enfantines. Les textes s'enchaînent avec Stéphane Olivier et Stéphane Rosière...
Des applaudissements vifs les succèdent.
L'attention augmente dans la salle et, la tension, aussi. Du bar,
j'observe le public et il ne fléchit pas. Les textes tiennent leurs promesses et
les auteurs les défendent avec ferveur et conviction. Personnellement, j'aime découvrir la voix d'un auteur, le
texte me semble tout d'un coup beaucoup plus incarné et l'auteur en révèle le
rythme interne. "En chemin" d'Adriana Langer provoque rires et nombreux
sourires. Le comité de lecture a fait d'excellents choix. Les textes,
extrêmement variés défilent pourtant avec cohérence.
La porte qui donne sur la terrasse couine, deux retardataires entrent,
un peu décontenancés devant la salle comble. Les nouvelles de Cécile-Marie
Hadrien et de Dominique Pascaud passent en un éclair.
Elles contiennent des délices. "Demeure" de Maël Guesdon percute cette
gourmandise avec des phrases courtes au petit vocabulaire de tous les jours et,
ouvre sur une nouvelle série de textes aux phrases et mots calibrés avec "Pour
un jour d'hiver", de Danielle Lambert, lu en duo femme-homme, "Super 8" de
Laurence Hughes, sorte de cauchemar cinétique, "Intermittences" de Myrto
Gondicas flirte avec une exigence poétique et des faits réels. La vague s'achève
avec "La tournée" de Perrine Le Querrec, tout s'accélère dans un tourbillon
jusqu'à épuisement de mes forces. Puis vient s'asseoir d'un pas hésitant,
Nicolaï Feuillard et son "rêve de Calixte" qui ramène doucement du rêve à la
réalité tout en nous en faisant douter. L'auteur lit d'une voix si tendre qu'il
me faut pencher l'oreille. Applaudissements.
Le public reste silencieux un instant, se détend, les lectures
demandent une grande attention. Le directeur de la revue remercie le public, le
convie à rejoindre les auteurs et le comité de lecture pour un verre, un dîner.
C'est possible pour ceux qui ont envie de continuer le partage. Mon dîner en
ville préférée ! Le brouhaha, les grincements de chaises et de la porte se
superposent. Ceux qui n'avaient pas encore acheté la revue, l'achète. D'autres
se jettent sur la terrasse pour fumer, d'autres au bar. Il fait chaud et soif,
toujours, quand les émotions s'en mêlent.
Les auteurs qui publient pour la première fois se tiennent debout
tanguant un peu comme si des vents contraires les empêchaient d'opter pour une
direction. Partir. Ne pas partir trop vite... Rester. Les amis félicitent, des
inconnus aussi parfois et cela fait chaud au coeur.
Je ne sais pas pour vous, mais moi je repars toujours de ces lectures
avec la sensation d'avoir vécue. Je me sens un peu plus pleine, un peu plus
riche. Je ne peux imaginer qu'un tel plaisir disparaisse. La revue invente au
fil des rencontres un espace pour les auteurs et les lecteurs. Elle crée un lien
littéraire, social, d'échanges contribuant au développement de la littérature
d'aujourd'hui et, je l'espère et le souhaite, de celle de demain... Pour
l'auteure, que je suis, Rue Saint Ambroise offre un espace dans lequel j'existe.
Nous avons tous besoin d’exister.
Article extrait du blog de Chris Simon : lebaiserdelamouche.wordpress.com