Nouvelles de prison
Albertine Sarrazin
Ecrivain-voyou, comme François Villon ou Jean Genet, Albertine Sarrazin a enchainé durant des années prison et liberté provisoire. Un cercle infernal qu’elle a su rompre grâce à l’écriture et au succès rencontré par ses oeuvres. Succès dont elle profitera peu, puisqu’elle meurt à 30 ans d’une erreur médicale, en 1967. Les éditions du Chemin de Fer ont réédité récemment ses Nouvelles de prison.
Une vie de roman. Abandonnée à la naissance à Alger, elle est adoptée par des parents âgés hantés par le souvenir idéalisé d’une enfant adoptée antérieurement et morte à trois ans. Pâtissant forcément de la comparaison, elle s’entend mal avec ses tuteurs catholiques et rigoristes. Elève brillante mais indisciplinée, son père finit par la mettre en maison de correction dans le sud de la France et va jusqu’à révoquer son adoption. La suite, on la connait : vols, prostitution, cavales, et entre les virgules peines de prison. Neuf ans au total. Lors de l’une d’elles, en sautant le mur de la prison, elle se brise l’os du pied, l’astragale, rampe jusqu’à la route nationale, se fait ramasser par un automobiliste qui passe par là, c’est Julien Sarrazin, qui la soigne, la cache et tombe amoureux d’elle. Ils commettent désormais leurs larcins en couple, se marient en prison, et entre deux détentions se retrouvent dans une vieille ferme retapée au sud de Montpellier. L’Astragale lui fait connaitre le succès, mais elle en profitera peu, mourant à 30 ans d’une erreur médicale.
Au cours de cette vie houleuse et agitée, Albertine trouve le temps d’écrire. Où ça ? Dans le seul endroit où elle trouve un peu de calme et de solitude : en prison. Ses deux romans autobiographiques, l’Astragale et La Cavale, son journal, et ses nouvelles.
Dans la nouvelle « Le laveur », on suit le compte-rendu précis et réaliste du quotidien de la détenue Sarrazin, une détenue modèle. Cette rebelle volontiers provocatrice lors de ses procès - déclarant au juge « Je n’ai aucun remords. Quand j’en aurai, je vous préviendrai » - finit par comprendre, à l’issue d’évasions ratées, que si on l’accepte, le cachot peut devenir un lieu supportable. Alors il peut même devenir une chance, pour écrire, s’isoler et… travailler. Détenue exemplaire, qui cherche avant tout « une détention pénarde », Albertine raconte comment elle se rend utile en exerçant un tas de corvées domestiques, couture, lessive, ravaudage, repassage, menus bricolage. Dans « La crèche », elle raconte minutieusement la fabrication de la crèche de la prison pour la fête de Noël, s’inventant pour compliquer la tâche des contraintes matérielles (ne se servir que du maigre butin de son armoire et de rien d’autre : étui de bouteille, boîte de café, grains de riz agglutinés, café, allumettes, savon) et temporelles (deux heures). « Affaire Saint-Jus » dresse le portrait ambivalent d’une autre détenue : Mary, clocharde biturée dans la vie civile, factotum sobre et indispensable en milieu carcéral. Ses mains tordues recèlent des doigts de fée qui lui assurent toute-puissance en cellule, troquant moult services contre café, sa drogue de prison, et vivres.
Par le biais d’un vocabulaire précis, d’un bon sens exprimé en une gouaille attachante, de dialogues, de scènes vivantes, on redécouvre la prison, lieu saturé d’intrigues, de messages clandestins cherchant à contourner la surveillance, de petits arrangements, d’entourloupes, de copinages plus ou moins intéressés… Les Nouvelles de prison sont le documentaire passionnant et original du microcosme carcéral où la narratrice se faufile adroitement pour gagner un peu de liberté et de tranquillité.
Géraldine Doutriaux
Nouvelles de prison
Albertine Sarrazin
Editions du chemin de fer
15 euros 120 pages
Parution : 4 avril 2019
ISBN : 978-2-490356-06-5
Albertine Sarrazin
Ecrivain-voyou, comme François Villon ou Jean Genet, Albertine Sarrazin a enchainé durant des années prison et liberté provisoire. Un cercle infernal qu’elle a su rompre grâce à l’écriture et au succès rencontré par ses oeuvres. Succès dont elle profitera peu, puisqu’elle meurt à 30 ans d’une erreur médicale, en 1967. Les éditions du Chemin de Fer ont réédité récemment ses Nouvelles de prison.
Une vie de roman. Abandonnée à la naissance à Alger, elle est adoptée par des parents âgés hantés par le souvenir idéalisé d’une enfant adoptée antérieurement et morte à trois ans. Pâtissant forcément de la comparaison, elle s’entend mal avec ses tuteurs catholiques et rigoristes. Elève brillante mais indisciplinée, son père finit par la mettre en maison de correction dans le sud de la France et va jusqu’à révoquer son adoption. La suite, on la connait : vols, prostitution, cavales, et entre les virgules peines de prison. Neuf ans au total. Lors de l’une d’elles, en sautant le mur de la prison, elle se brise l’os du pied, l’astragale, rampe jusqu’à la route nationale, se fait ramasser par un automobiliste qui passe par là, c’est Julien Sarrazin, qui la soigne, la cache et tombe amoureux d’elle. Ils commettent désormais leurs larcins en couple, se marient en prison, et entre deux détentions se retrouvent dans une vieille ferme retapée au sud de Montpellier. L’Astragale lui fait connaitre le succès, mais elle en profitera peu, mourant à 30 ans d’une erreur médicale.
Au cours de cette vie houleuse et agitée, Albertine trouve le temps d’écrire. Où ça ? Dans le seul endroit où elle trouve un peu de calme et de solitude : en prison. Ses deux romans autobiographiques, l’Astragale et La Cavale, son journal, et ses nouvelles.
Dans la nouvelle « Le laveur », on suit le compte-rendu précis et réaliste du quotidien de la détenue Sarrazin, une détenue modèle. Cette rebelle volontiers provocatrice lors de ses procès - déclarant au juge « Je n’ai aucun remords. Quand j’en aurai, je vous préviendrai » - finit par comprendre, à l’issue d’évasions ratées, que si on l’accepte, le cachot peut devenir un lieu supportable. Alors il peut même devenir une chance, pour écrire, s’isoler et… travailler. Détenue exemplaire, qui cherche avant tout « une détention pénarde », Albertine raconte comment elle se rend utile en exerçant un tas de corvées domestiques, couture, lessive, ravaudage, repassage, menus bricolage. Dans « La crèche », elle raconte minutieusement la fabrication de la crèche de la prison pour la fête de Noël, s’inventant pour compliquer la tâche des contraintes matérielles (ne se servir que du maigre butin de son armoire et de rien d’autre : étui de bouteille, boîte de café, grains de riz agglutinés, café, allumettes, savon) et temporelles (deux heures). « Affaire Saint-Jus » dresse le portrait ambivalent d’une autre détenue : Mary, clocharde biturée dans la vie civile, factotum sobre et indispensable en milieu carcéral. Ses mains tordues recèlent des doigts de fée qui lui assurent toute-puissance en cellule, troquant moult services contre café, sa drogue de prison, et vivres.
Par le biais d’un vocabulaire précis, d’un bon sens exprimé en une gouaille attachante, de dialogues, de scènes vivantes, on redécouvre la prison, lieu saturé d’intrigues, de messages clandestins cherchant à contourner la surveillance, de petits arrangements, d’entourloupes, de copinages plus ou moins intéressés… Les Nouvelles de prison sont le documentaire passionnant et original du microcosme carcéral où la narratrice se faufile adroitement pour gagner un peu de liberté et de tranquillité.
Géraldine Doutriaux
Nouvelles de prison
Albertine Sarrazin
Editions du chemin de fer
15 euros 120 pages
Parution : 4 avril 2019
ISBN : 978-2-490356-06-5