Confiné (suite)
Philippe Crubézy
Confiné, je suis. Calcule le bon moment pour sortir, celui qui tendra au mieux le fil lâche de la journée.
Le soleil est tiède ces jours, peut-être lui-même convalescent mais l’hiver n’est pas une maladie, alors une fois dehors frôle les murs qu’il éclaire et boit sa lumière comme à la fontaine. Les rues, les avenues trouvent leurs vraies dimensions dans l’absence de trafic. Cette rue n’est pas droite, finalement, celle-ci grimpe plus que prévu, c’est grand un carrefour. Les enfants pourraient prétendre à de nouveaux terrains de jeu, d’une façade à l’autre, si on ne les attachait pas de liens invisibles.
La ville est nue, ne cache rien, perd ses couleurs. La ville est pâle, chlorotique. Restent, de loin en loin, le vert des pharmacies, le rouge des tabacs, le blanc des hôpitaux tremblants. Le gris-noir du bitume. Reste l’envie de la lenteur pour retarder encore un peu le casernement et les heures élastiques.
Quand deux cargos chargés ras la gueule de containers se croisent au large d’un océan, lancent-ils fraternellement leurs sirènes ?
Un blanc.
Les quelques esquifs angoissés chargé ras le caddie que je croise sous le soleil blême virent de bord, insensiblement, pour me préserver de leur écume. Et moi je change de trottoir.
***
Confiné, je suis. Me tiens dans la lumière, considère les volumes, les distances de mur à mur, dénombre les sons ; il y en a peu et en même temps davantage puisque d’habitude je ne les entends ou ne les écoute pas. Un bourdonnement confus, un sifflement par-dessus, la radio à quelques mètres et ses rires calcifiés. Mais pas le pas du chat. Tout à l’heure, un rire d’enfant comme un cristal miraculeux.
Souvent on écoute son cœur mais on ne l’entend jamais. Ou rarement. Peut-être à l’ultime seconde, au moment où l’on dira « Plus de lumière » nous parviendra le dernier son, le nôtre. « Qui frappe à ma porte ? »
Un blanc.
Battement privé, épiphanie chuchotée.
Entendus tout de même au loin (vraiment loin ?) le grésillement d’un deux-roues, la rumeur d’une voiture, l’alarme impérieuse d’une ambulance et, plus près vraiment, une conversation entre deux voisines invisibles puisque l’invisible est l’indice de ce moment. Le silence imposé fait résonner étrangement les sons familiers et les bruits anonymes.
Ils couvrent le jazz de mon cœur et ont valeur d’images.
***
Confiné, je suis. Ce matin, une heure a été engloutie, dévorée par un monstre chronophage tapi quelque part dans un pli du temps. M’en suis aperçu par hasard, comparant mes différentes horloges électroniques et manuelles. Le monstre aurait bien pu se repaître de deux supplémentaires ; ma journée n’en aurait pas été bouleversée pour autant. Il y aurait donc des heures inutiles et depuis quand ?
Un blanc.
L’électricité a disparu elle aussi, le temps d’un battement de cils, et dans cette seconde j’ai pensé black-out, grande pénurie, arrêt total. Anémie du monde ; la fragilité, devient la norme. Les heures sont vulnérables, les fluides magiques sont pris de faiblesse et je marche à cloche-pied, au risque de tomber, pour faire durer l’escapade.
Le funambule a chuté et, la cheville peut-être brisée, se demande comment il va pouvoir remonter sur le fil. Le public tape dans ses mains pour l’encourager, il a payé sa place le public et M. Loyal a la mine sévère. Mais le funambule commence à se demander si marcher sur un câble tendu ça vaut vraiment le coup. Il tourne la tête vers l’écuyère qui le regarde, les larmes aux yeux, depuis l’embrasure du rideau et la trouve soudain très jolie.
***
Philippe Crubézy
Confiné, je suis. Calcule le bon moment pour sortir, celui qui tendra au mieux le fil lâche de la journée.
Le soleil est tiède ces jours, peut-être lui-même convalescent mais l’hiver n’est pas une maladie, alors une fois dehors frôle les murs qu’il éclaire et boit sa lumière comme à la fontaine. Les rues, les avenues trouvent leurs vraies dimensions dans l’absence de trafic. Cette rue n’est pas droite, finalement, celle-ci grimpe plus que prévu, c’est grand un carrefour. Les enfants pourraient prétendre à de nouveaux terrains de jeu, d’une façade à l’autre, si on ne les attachait pas de liens invisibles.
La ville est nue, ne cache rien, perd ses couleurs. La ville est pâle, chlorotique. Restent, de loin en loin, le vert des pharmacies, le rouge des tabacs, le blanc des hôpitaux tremblants. Le gris-noir du bitume. Reste l’envie de la lenteur pour retarder encore un peu le casernement et les heures élastiques.
Quand deux cargos chargés ras la gueule de containers se croisent au large d’un océan, lancent-ils fraternellement leurs sirènes ?
Un blanc.
Les quelques esquifs angoissés chargé ras le caddie que je croise sous le soleil blême virent de bord, insensiblement, pour me préserver de leur écume. Et moi je change de trottoir.
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Confiné, je suis. Me tiens dans la lumière, considère les volumes, les distances de mur à mur, dénombre les sons ; il y en a peu et en même temps davantage puisque d’habitude je ne les entends ou ne les écoute pas. Un bourdonnement confus, un sifflement par-dessus, la radio à quelques mètres et ses rires calcifiés. Mais pas le pas du chat. Tout à l’heure, un rire d’enfant comme un cristal miraculeux.
Souvent on écoute son cœur mais on ne l’entend jamais. Ou rarement. Peut-être à l’ultime seconde, au moment où l’on dira « Plus de lumière » nous parviendra le dernier son, le nôtre. « Qui frappe à ma porte ? »
Un blanc.
Battement privé, épiphanie chuchotée.
Entendus tout de même au loin (vraiment loin ?) le grésillement d’un deux-roues, la rumeur d’une voiture, l’alarme impérieuse d’une ambulance et, plus près vraiment, une conversation entre deux voisines invisibles puisque l’invisible est l’indice de ce moment. Le silence imposé fait résonner étrangement les sons familiers et les bruits anonymes.
Ils couvrent le jazz de mon cœur et ont valeur d’images.
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Confiné, je suis. Ce matin, une heure a été engloutie, dévorée par un monstre chronophage tapi quelque part dans un pli du temps. M’en suis aperçu par hasard, comparant mes différentes horloges électroniques et manuelles. Le monstre aurait bien pu se repaître de deux supplémentaires ; ma journée n’en aurait pas été bouleversée pour autant. Il y aurait donc des heures inutiles et depuis quand ?
Un blanc.
L’électricité a disparu elle aussi, le temps d’un battement de cils, et dans cette seconde j’ai pensé black-out, grande pénurie, arrêt total. Anémie du monde ; la fragilité, devient la norme. Les heures sont vulnérables, les fluides magiques sont pris de faiblesse et je marche à cloche-pied, au risque de tomber, pour faire durer l’escapade.
Le funambule a chuté et, la cheville peut-être brisée, se demande comment il va pouvoir remonter sur le fil. Le public tape dans ses mains pour l’encourager, il a payé sa place le public et M. Loyal a la mine sévère. Mais le funambule commence à se demander si marcher sur un câble tendu ça vaut vraiment le coup. Il tourne la tête vers l’écuyère qui le regarde, les larmes aux yeux, depuis l’embrasure du rideau et la trouve soudain très jolie.
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