Le jeune homme et la mort
Catherine Schmoor
Il est assis sur son canapé. Il réfléchit à ce qu’il vient d’entendre à la radio.
Il est assis sur son canapé. C’est quand même incroyable, ce qu’il vient d’entendre à la radio. Alors, cette fichue maladie peut prendre des formes indétectables ? Il est peut-être malade, sans même le savoir ?
Il est assis sur son canapé, il vient d’apprendre à la radio qu’il était peut-être malade sans le savoir car les symptômes ne sont pas les mêmes pour tout le monde et le virus se tapit parfois tout au fond des cellules et ne se manifeste pas tout de suite et transforme les êtres les plus innocents (lui, par exemple) en vecteurs de la maladie.
Il est figé d’angoisse sur son canapé, le sinistre message du speaker parcourt ses veines : il est porteur sain du virus. Tous les signaux concordent. Hier il a mangé sans difficulté des sardines à l’escabèche car il ne restait que ça dans le placard et il n’a rien senti. Cette perte de l’odorat lui révèle ce qu’il refuse de savoir, depuis le début : il s’est transformé sans le vouloir en bombe humaine.
Il se recroqueville sur son canapé et laisse le verdict des autorités sanitaires le couvrir de honte ; comment, mais comment a-t-il pu choper cette saloperie ? Il a complètement perdu l’odorat et le goût aussi probablement, il n’a plus rien à manger à la maison et il va bien falloir qu’il sorte faire des courses, comment va-t-il faire ? Il revoit, en un éclair, la vieille dame de l’appartement d’en face et le jeune couple du premier et la petite blonde de l’étage au-dessus ; tous ; il va tous les contaminer. Il s’en veut à mort - surtout pour la petite blonde.
Roulé en boule sur son canapé il se laisse consciencieusement crever de faim, il ne sortira pas ; il obéira aux messages du gouvernement relayés par la radio, « Restez Chez Vous ! Restez Chez Vous !». Il sent déjà la brûlure du corona dans ses poumons et ses sinus. Il se demande si ça fait mal, quand on vous pose un respirateur. Il se souvient de l’aspect pitoyable de sa mamie sur son lit de mort à l’hôpital. Il en a la larme à l’œil.
Agonisant sur son canapé il jette un dernier regard par la fenêtre aux arbres de la rue. Il a tellement aimé la vie. Il est bien trop jeune pour mourir. Il médite, le cœur serré mais le menton ferme, sur la cruauté du destin qui l’a bombardé de ce sale globule à protubérances protéinées qui s’accroche au moindre défaut des muqueuses et les détruit ; il sait déjà qu’il va souffrir le martyre, crever seul dans son studio. Mais il ne sortira pas. « Restez Chez Vous ». C’est la radio qui l’a dit. Il obéira pour sauver ses voisins. Surtout la petite blonde. Du dessus.
Lorsqu’il se réveille, il a un goût infect dans la bouche et il crève la dalle. Il fait déjà presque nuit, merde ! Il va devoir commander une pizza, encore heureux qu’ils puissent continuer à livrer, ceux-là…
Le bruit des applaudissements l’attire à la fenêtre. Juste au-dessus de lui, la petite blonde crie d’une voix perçante, « Bravo les soignants ! ». Un sourire aux lèvres, il se prépare à crier lui aussi, lorsqu’une voix masculine le devance brutalement… En se démanchant le cou, il aperçoit la petite blonde, serrée de près par un grand escogriffe tout fiérot, accoudé avec elle à la fenêtre ; les voilà qui se mettent à brailler en chœur, « Bravo les soignaaants ! ».
Il referme la fenêtre d’un coup sec, se jette sur le canapé. C’est comme ça qu’elle respecte le confinement, cette conne ?
Catherine Schmoor
Il est assis sur son canapé. Il réfléchit à ce qu’il vient d’entendre à la radio.
Il est assis sur son canapé. C’est quand même incroyable, ce qu’il vient d’entendre à la radio. Alors, cette fichue maladie peut prendre des formes indétectables ? Il est peut-être malade, sans même le savoir ?
Il est assis sur son canapé, il vient d’apprendre à la radio qu’il était peut-être malade sans le savoir car les symptômes ne sont pas les mêmes pour tout le monde et le virus se tapit parfois tout au fond des cellules et ne se manifeste pas tout de suite et transforme les êtres les plus innocents (lui, par exemple) en vecteurs de la maladie.
Il est figé d’angoisse sur son canapé, le sinistre message du speaker parcourt ses veines : il est porteur sain du virus. Tous les signaux concordent. Hier il a mangé sans difficulté des sardines à l’escabèche car il ne restait que ça dans le placard et il n’a rien senti. Cette perte de l’odorat lui révèle ce qu’il refuse de savoir, depuis le début : il s’est transformé sans le vouloir en bombe humaine.
Il se recroqueville sur son canapé et laisse le verdict des autorités sanitaires le couvrir de honte ; comment, mais comment a-t-il pu choper cette saloperie ? Il a complètement perdu l’odorat et le goût aussi probablement, il n’a plus rien à manger à la maison et il va bien falloir qu’il sorte faire des courses, comment va-t-il faire ? Il revoit, en un éclair, la vieille dame de l’appartement d’en face et le jeune couple du premier et la petite blonde de l’étage au-dessus ; tous ; il va tous les contaminer. Il s’en veut à mort - surtout pour la petite blonde.
Roulé en boule sur son canapé il se laisse consciencieusement crever de faim, il ne sortira pas ; il obéira aux messages du gouvernement relayés par la radio, « Restez Chez Vous ! Restez Chez Vous !». Il sent déjà la brûlure du corona dans ses poumons et ses sinus. Il se demande si ça fait mal, quand on vous pose un respirateur. Il se souvient de l’aspect pitoyable de sa mamie sur son lit de mort à l’hôpital. Il en a la larme à l’œil.
Agonisant sur son canapé il jette un dernier regard par la fenêtre aux arbres de la rue. Il a tellement aimé la vie. Il est bien trop jeune pour mourir. Il médite, le cœur serré mais le menton ferme, sur la cruauté du destin qui l’a bombardé de ce sale globule à protubérances protéinées qui s’accroche au moindre défaut des muqueuses et les détruit ; il sait déjà qu’il va souffrir le martyre, crever seul dans son studio. Mais il ne sortira pas. « Restez Chez Vous ». C’est la radio qui l’a dit. Il obéira pour sauver ses voisins. Surtout la petite blonde. Du dessus.
Lorsqu’il se réveille, il a un goût infect dans la bouche et il crève la dalle. Il fait déjà presque nuit, merde ! Il va devoir commander une pizza, encore heureux qu’ils puissent continuer à livrer, ceux-là…
Le bruit des applaudissements l’attire à la fenêtre. Juste au-dessus de lui, la petite blonde crie d’une voix perçante, « Bravo les soignants ! ». Un sourire aux lèvres, il se prépare à crier lui aussi, lorsqu’une voix masculine le devance brutalement… En se démanchant le cou, il aperçoit la petite blonde, serrée de près par un grand escogriffe tout fiérot, accoudé avec elle à la fenêtre ; les voilà qui se mettent à brailler en chœur, « Bravo les soignaaants ! ».
Il referme la fenêtre d’un coup sec, se jette sur le canapé. C’est comme ça qu’elle respecte le confinement, cette conne ?