Rodrigue Rouyer-Cobelli
Blues nocturne
Derrière le comptoir, le patron rinçait ses verres tout en écoutant, sans y paraître, les notes déchirantes et cuivrées du saxophone que le saxophoniste, dans la solitude du bistrot, faisait vibrer. C’était un blues. Improvisé. Livré à sa propre ivresse.
Le musicien avait quitté l’estrade qui servait de scène et marchait à tout petits pas entre les tables vides pendant qu’il soufflait dans son instrument de laiton à s’en faire péter les veines des tympans. Mais qui voulait-il donc entraîner avec lui du côté de la Nouvelle-Orléans ? Il n’y avait personne dans la salle ou si peu : le patron derrière le comptoir et juste devant, une femme d’un certain âge ; et puis un jeune homme, assis à une table, à l’écart ; et puis le batteur, sur l’estrade, caché par sa batterie et noyé dans l’ombre ; et enfin, le bassiste, qui se roulait une cigarette en attendant de se remettre à jouer. Tout cela réuni ne formait pas une foule. En guise de véritable public, le trio de musiciens n’avait en tout et pour tout que trois paires d’oreilles.
Chaque samedi soir, c’était sensiblement pareil. Le patron restait derrière le comptoir, en vis-à-vis avec la femme – invariablement. Un ou deux clients s’attablaient dans la salle – jamais les mêmes. Alors, oui, le trio de musiciens ne venait pas spécialement jouer pour les autres, il venait pour lui-même, pour se faire plaisir. Une manière de répétition. Encore que ce n’était pas exactement cela. Le trio acceptait l’invitation à jouer dans le lieu pour cette ambiance de solitude effrayante. Vertigineuse.
- Putain de musique, elle me fiche le blues, dit Elisa, les yeux braqués sur l’estrade des musiciens.
- J’aime bien, moi, dit le patron.
Elisa se tourna en direction du jeune homme de passage assis à une table. Elle le regarda fixement, l’esprit lent à la décision. Elle s’attardait sur lui et lui se sentit gêné par ce regard lourd et rempli d’alcool. Il voulut se faire plus petit mais c’était impossible. Alors, pour se donner une contenance, il racla sa gorge comme pour s’éclaircir la voix. Rien d’autre. Il n’aurait su quoi dire.
Il y eut un long silence dans le bar. Les musiciens ne jouaient plus. Le bassiste était sorti pour fumer sa cigarette roulée. Les deux autres sirotaient un café dans leur coin, sur l’estrade. Le son de la pluie qui tombait au-dehors se mit à emplir l’espace. C’était un crépitement continu qui ne manquait pas de rappeler à tous que la fichue ville dans laquelle ils habitaient serait engloutie par les eaux bien avant Venise. Les fondations s’enfonçaient, et pas seulement du côté du littoral. La faute en revenait aux imbéciles d’industriels qui pompaient la nappe phréatique et à ces autres qui s’étaient lancés dans l’extraction du méthane. Des associations s’étaient constituées, qui protestaient contre cette industrie irresponsable et dangereuse mais rien de significatif ne s’en dégageait.
Comme le bassiste était revenu, les musiciens reprirent leurs instruments et dissipèrent le silence mêlé du bruissement de la pluie. La musique laissa planer les esprits vers des horizons incertains, plutôt bas et sombres. Amers. Mais ce n’était pas la faute des musiciens. C’était une simple affaire de tempérament. Les circonstances de la vie. Ce que les notes, les accords, évoquaient, ou convoquaient, ne dépassait pas la surface menaçante de l’océan qui pesait sur la ville et ses habitants. Le rhythm’n’blues qui envahissait la pièce infligeait sans doute inconsciemment le rappel d’une certaine Katrina, le cyclone dévastateur de la Louisiane. Ironie. Comme en écho lointain, comme une réplique tardive, intemporelle, portée par l’émotion, une tempête sévissait dans les cœurs. Dans les âmes. Et les tourmentait.
Elisa avait toujours vécu dans cette ville où elle était née. Des visions inquiétantes la hantaient. Elle voyait clairement sa ville engloutie, avec juste les toits qui émergent : un radeau de tuiles sur la mer. Elle songeait aux gens qui faisaient ravaler leur façade d’immeuble – encore aujourd’hui, elle avait vu de nombreux chantiers – et se demandait pourquoi cette ingénuité, à la limite de l’incongruité. Comment cela était-il possible ? Est-ce que les gens qui repeignaient leurs volets en bleu-outremer comptaient vivre dans des scaphandriers dans leurs chambres avec vue sous la mer ? Quelles formidables œillères possédaient-ils pour exiger une ville propre, aux murs d’une blancheur immaculée, qui brillent au soleil ? Le temps de la splendeur était passé. Le dix-neuvième siècle était bien loin qui voyait revenir, dans le port de la ville, les bateaux chargés d’or et de diamants en provenance d’Afrique du Sud. Il y avait belle lurette que la ville n’était plus la capitale de l’orfèvrerie. Il n’y avait même plus un seul orfèvre. Pas un. Il n’y avait plus, dans cette ville, que des touristes ! C’était ça, les nouvelles richesses : les touristes qu’on importait des quatre coins du globe. Des touristes qui se promenaient, contents, dans une belle carte postale aux rues piétonnes, dans la blancheur paradisiaque. Sauf que sous les beaux monuments, sous les belles architectures, tout était noir. Rongé par la pollution. Gangrené. L’enfer était sous les pieds. Littéralement sous les pieds. Et si l’enfer s’écroulait, le paradis s’écroulerait avec lui. La ville sombrerait comme un vieux rafiot. On dirait alors que la nature avait été la plus forte. En vérité, la ville n’aurait pas été noyée par les eaux, mais par la bêtise humaine.
- Et ça vous fait quoi, à vous, que la ville s’enfonce ?
- Je partirai avant.
Pour le patron, la ville était une ville quelconque. Il n’y avait pas placé autant de souvenirs qu’Elisa. Il ne faisait pas, comme elle, intimement partie de cette ville. Elisa avait laissé l’empreinte même de son corps dans les murs. Elle avait posé durant des heures et des heures, pendant des années, dans des ateliers d’artistes. Des nus d’elle avaient leur place dans le musée et chez combien de particuliers aussi ? Il y avait jusqu’à cette fontaine sur la grande place, une sculpture en creux, qui était le moulage de son corps – son négatif minéral, semblable à une grotte, une arcade féminine. Que la ville sombre sous les eaux et toute une partie d’elle-même coulerait également. Oh, bien sûr, il était à supposer que l’on sauverait les œuvres mais rien ne serait plus pareil quand même. Elisa sentit des larmes mouiller ses yeux. Comme si cela ne suffisait pas que la vieillesse flétrisse son corps. Il fallait encore que le temps achève son œuvre d’effacement !
Le bassiste se déchaînait sur les cordes et les maltraitait. Il en échappait un son grave et grinçant à la fois. Une sorte de folie que le batteur entretenait, faisait perdurer, par un rythme incessant, tribal, en tapant sur la caisse claire. Alors l’orage éclatait, le tonnerre du saxophoniste déchirait l’air. Dans ce fracas musical, envoûtant, hallucinatoire, personne n’avait entendu le tintement frêle du carillon de la porte.
- Il y a de la fièvre dans l’air, dit Elisa, s’il y avait des animaux ici, ils le sentiraient.
Le jeune homme de passage chercha quelques pièces dans son porte-monnaie afin de régler sa consommation.
Le patron n’arrivait plus à se rappeler combien coûtait une tequila-citron.
Tout à coup, un sourd grondement. Le sol se mit à vibrer sous les pieds, en accord avec la musique, comme un roulement de tambour, comme un piétinement.
Puis une violente secousse. Et des détonations puissantes.
Le sol se déroba. Les murs s’ouvrirent. Les vitres explosèrent. Ce fut une avalanche de verre pulvérisé, de plâtre, de briques, de tout.
La musique s’était tue. La lumière s’était instantanément éteinte. Après la stupeur, le choc, la première vision fut le noir, puis on s’habitua lentement à la pénombre dense. On entendit quelqu’un répéter à plusieurs reprises « nous allons mourir ».
- Nous allons mourir !
Mais plus rien ne se passa.
On entendit une autre voix dire « un raz de marée ».
Puis on perçut la rumeur lointaine. Des cris. Des klaxons bloqués, sirènes lugubres. C’était étrange comme tous les bruits de l’extérieur semblaient avoir envahi la salle du bistrot. C’est que des pans de murs étaient tombés et ne formaient plus de barrière étanche. On émergeait des décombres sans trop savoir où on se trouvait. Il y en avait qui vomissaient. D’autres qui suffoquaient ; une fumée âcre s’infiltrait dans les narines. Une poussière épaisse montait du sol et cette poussière se collait sur les peaux qui transpiraient abondamment.
Au loin, la ville commençait à s’illuminer de rouge. Les lueurs des incendies. Les flammes. On se mit alors à discerner l’ampleur des dégâts. Des façades entières étaient tombées emportant avec elles, les toits. En ombres chinoises, la ville montrait ses ruines. Des silhouettes apparurent, çà et là, qui traversaient non plus des rues, mais des collines de pierres et de gravats.
On s’assit, hébétés.
Possible qu’une femme passa avec, dans ses bras, un bébé mort.
Certain qu’un homme, nu, ensanglanté, déambula comme un automate en clamant qu’il avait tout perdu.
Certain qu’une femme s’écroula après avoir titubé longtemps. Elle était morte. Il lui manquait une partie du dos et peut-être bien un bras aussi.
Puis il y eut d’autres explosions. À répétition. Des salves effrayantes. Des rats par centaines de milliers filèrent à l’opposé de la mer. Une marée ondulante. On avait envie de se pincer pour se réveiller de ce cauchemar.
- À boire, dit un homme.
C’était un vieillard au visage en sang. Ses cheveux blancs étaient rouges. Le patron se redressa. C’était son rôle d’aller chercher à boire. Il y alla mais sans savoir s’il trouverait une seule bouteille intacte.
- À boire !
Alors, les gorges nouées se libérèrent un peu.
- Que s’est-il passé ? demanda Elisa d’une voix blanche.
- La ville est en flammes. Tous les quartiers au nord. Au centre. C’est l’enfer ! Le diable a joué avec des allumettes, ça pue le soufre !
- Une ville, baragouina quelqu’un, une ville, ça ne flambe pas comme ça, ce n’est pas une forêt.
Chaque samedi soir, c’était sensiblement pareil. Le patron restait derrière le comptoir, en vis-à-vis avec la femme – invariablement. Un ou deux clients s’attablaient dans la salle – jamais les mêmes. Alors, oui, le trio de musiciens ne venait pas spécialement jouer pour les autres, il venait pour lui-même, pour se faire plaisir. Une manière de répétition. Encore que ce n’était pas exactement cela. Le trio acceptait l’invitation à jouer dans le lieu pour cette ambiance de solitude effrayante. Vertigineuse.
- Putain de musique, elle me fiche le blues, dit Elisa, les yeux braqués sur l’estrade des musiciens.
- J’aime bien, moi, dit le patron.
Elisa se tourna en direction du jeune homme de passage assis à une table. Elle le regarda fixement, l’esprit lent à la décision. Elle s’attardait sur lui et lui se sentit gêné par ce regard lourd et rempli d’alcool. Il voulut se faire plus petit mais c’était impossible. Alors, pour se donner une contenance, il racla sa gorge comme pour s’éclaircir la voix. Rien d’autre. Il n’aurait su quoi dire.
Il y eut un long silence dans le bar. Les musiciens ne jouaient plus. Le bassiste était sorti pour fumer sa cigarette roulée. Les deux autres sirotaient un café dans leur coin, sur l’estrade. Le son de la pluie qui tombait au-dehors se mit à emplir l’espace. C’était un crépitement continu qui ne manquait pas de rappeler à tous que la fichue ville dans laquelle ils habitaient serait engloutie par les eaux bien avant Venise. Les fondations s’enfonçaient, et pas seulement du côté du littoral. La faute en revenait aux imbéciles d’industriels qui pompaient la nappe phréatique et à ces autres qui s’étaient lancés dans l’extraction du méthane. Des associations s’étaient constituées, qui protestaient contre cette industrie irresponsable et dangereuse mais rien de significatif ne s’en dégageait.
Comme le bassiste était revenu, les musiciens reprirent leurs instruments et dissipèrent le silence mêlé du bruissement de la pluie. La musique laissa planer les esprits vers des horizons incertains, plutôt bas et sombres. Amers. Mais ce n’était pas la faute des musiciens. C’était une simple affaire de tempérament. Les circonstances de la vie. Ce que les notes, les accords, évoquaient, ou convoquaient, ne dépassait pas la surface menaçante de l’océan qui pesait sur la ville et ses habitants. Le rhythm’n’blues qui envahissait la pièce infligeait sans doute inconsciemment le rappel d’une certaine Katrina, le cyclone dévastateur de la Louisiane. Ironie. Comme en écho lointain, comme une réplique tardive, intemporelle, portée par l’émotion, une tempête sévissait dans les cœurs. Dans les âmes. Et les tourmentait.
Elisa avait toujours vécu dans cette ville où elle était née. Des visions inquiétantes la hantaient. Elle voyait clairement sa ville engloutie, avec juste les toits qui émergent : un radeau de tuiles sur la mer. Elle songeait aux gens qui faisaient ravaler leur façade d’immeuble – encore aujourd’hui, elle avait vu de nombreux chantiers – et se demandait pourquoi cette ingénuité, à la limite de l’incongruité. Comment cela était-il possible ? Est-ce que les gens qui repeignaient leurs volets en bleu-outremer comptaient vivre dans des scaphandriers dans leurs chambres avec vue sous la mer ? Quelles formidables œillères possédaient-ils pour exiger une ville propre, aux murs d’une blancheur immaculée, qui brillent au soleil ? Le temps de la splendeur était passé. Le dix-neuvième siècle était bien loin qui voyait revenir, dans le port de la ville, les bateaux chargés d’or et de diamants en provenance d’Afrique du Sud. Il y avait belle lurette que la ville n’était plus la capitale de l’orfèvrerie. Il n’y avait même plus un seul orfèvre. Pas un. Il n’y avait plus, dans cette ville, que des touristes ! C’était ça, les nouvelles richesses : les touristes qu’on importait des quatre coins du globe. Des touristes qui se promenaient, contents, dans une belle carte postale aux rues piétonnes, dans la blancheur paradisiaque. Sauf que sous les beaux monuments, sous les belles architectures, tout était noir. Rongé par la pollution. Gangrené. L’enfer était sous les pieds. Littéralement sous les pieds. Et si l’enfer s’écroulait, le paradis s’écroulerait avec lui. La ville sombrerait comme un vieux rafiot. On dirait alors que la nature avait été la plus forte. En vérité, la ville n’aurait pas été noyée par les eaux, mais par la bêtise humaine.
- Et ça vous fait quoi, à vous, que la ville s’enfonce ?
- Je partirai avant.
Pour le patron, la ville était une ville quelconque. Il n’y avait pas placé autant de souvenirs qu’Elisa. Il ne faisait pas, comme elle, intimement partie de cette ville. Elisa avait laissé l’empreinte même de son corps dans les murs. Elle avait posé durant des heures et des heures, pendant des années, dans des ateliers d’artistes. Des nus d’elle avaient leur place dans le musée et chez combien de particuliers aussi ? Il y avait jusqu’à cette fontaine sur la grande place, une sculpture en creux, qui était le moulage de son corps – son négatif minéral, semblable à une grotte, une arcade féminine. Que la ville sombre sous les eaux et toute une partie d’elle-même coulerait également. Oh, bien sûr, il était à supposer que l’on sauverait les œuvres mais rien ne serait plus pareil quand même. Elisa sentit des larmes mouiller ses yeux. Comme si cela ne suffisait pas que la vieillesse flétrisse son corps. Il fallait encore que le temps achève son œuvre d’effacement !
Le bassiste se déchaînait sur les cordes et les maltraitait. Il en échappait un son grave et grinçant à la fois. Une sorte de folie que le batteur entretenait, faisait perdurer, par un rythme incessant, tribal, en tapant sur la caisse claire. Alors l’orage éclatait, le tonnerre du saxophoniste déchirait l’air. Dans ce fracas musical, envoûtant, hallucinatoire, personne n’avait entendu le tintement frêle du carillon de la porte.
- Il y a de la fièvre dans l’air, dit Elisa, s’il y avait des animaux ici, ils le sentiraient.
Le jeune homme de passage chercha quelques pièces dans son porte-monnaie afin de régler sa consommation.
Le patron n’arrivait plus à se rappeler combien coûtait une tequila-citron.
Tout à coup, un sourd grondement. Le sol se mit à vibrer sous les pieds, en accord avec la musique, comme un roulement de tambour, comme un piétinement.
Puis une violente secousse. Et des détonations puissantes.
Le sol se déroba. Les murs s’ouvrirent. Les vitres explosèrent. Ce fut une avalanche de verre pulvérisé, de plâtre, de briques, de tout.
La musique s’était tue. La lumière s’était instantanément éteinte. Après la stupeur, le choc, la première vision fut le noir, puis on s’habitua lentement à la pénombre dense. On entendit quelqu’un répéter à plusieurs reprises « nous allons mourir ».
- Nous allons mourir !
Mais plus rien ne se passa.
On entendit une autre voix dire « un raz de marée ».
Puis on perçut la rumeur lointaine. Des cris. Des klaxons bloqués, sirènes lugubres. C’était étrange comme tous les bruits de l’extérieur semblaient avoir envahi la salle du bistrot. C’est que des pans de murs étaient tombés et ne formaient plus de barrière étanche. On émergeait des décombres sans trop savoir où on se trouvait. Il y en avait qui vomissaient. D’autres qui suffoquaient ; une fumée âcre s’infiltrait dans les narines. Une poussière épaisse montait du sol et cette poussière se collait sur les peaux qui transpiraient abondamment.
Au loin, la ville commençait à s’illuminer de rouge. Les lueurs des incendies. Les flammes. On se mit alors à discerner l’ampleur des dégâts. Des façades entières étaient tombées emportant avec elles, les toits. En ombres chinoises, la ville montrait ses ruines. Des silhouettes apparurent, çà et là, qui traversaient non plus des rues, mais des collines de pierres et de gravats.
On s’assit, hébétés.
Possible qu’une femme passa avec, dans ses bras, un bébé mort.
Certain qu’un homme, nu, ensanglanté, déambula comme un automate en clamant qu’il avait tout perdu.
Certain qu’une femme s’écroula après avoir titubé longtemps. Elle était morte. Il lui manquait une partie du dos et peut-être bien un bras aussi.
Puis il y eut d’autres explosions. À répétition. Des salves effrayantes. Des rats par centaines de milliers filèrent à l’opposé de la mer. Une marée ondulante. On avait envie de se pincer pour se réveiller de ce cauchemar.
- À boire, dit un homme.
C’était un vieillard au visage en sang. Ses cheveux blancs étaient rouges. Le patron se redressa. C’était son rôle d’aller chercher à boire. Il y alla mais sans savoir s’il trouverait une seule bouteille intacte.
- À boire !
Alors, les gorges nouées se libérèrent un peu.
- Que s’est-il passé ? demanda Elisa d’une voix blanche.
- La ville est en flammes. Tous les quartiers au nord. Au centre. C’est l’enfer ! Le diable a joué avec des allumettes, ça pue le soufre !
- Une ville, baragouina quelqu’un, une ville, ça ne flambe pas comme ça, ce n’est pas une forêt.