Patrick Chavardès
Compartiment Fumeur
-Tu n'as pas du feu s'il te plaît ?
- Si
La fille sort un briquet et allume ma cigarette sans me regarder. Je la dévisage. Elle est belle. Élancée, très brune, elle porte un petit anneau sous le nez.
Je lui propose de boire un verre . Cette fois elle me regarde dans les yeux avec un rien d'arrogance.
- Non ça va merci.
Elle s'en va comme si elle était pressée. Nous sommes dans une brasserie en face de la gare Saint Charles. Elle a sûrement un train à prendre. Je finis ma bière. J'en commande une autre. C’est le premier dimanche de décembre.
La gare est déjà inondée de soleil à huit heure du matin. Je me demande ce que je fais là. C'est dimanche. Il n'y a presque personne dans le café. Je suis déjà ivre mais complètement lucide. J'ai passé la nuit au wagon bar . Tout à l'heure je rentre à Paris. Je suis venu pour rien. Je repars pour rien. Je voyage pour rien, sans raison et je bois sans façon pour faire voyager l'alcool en moi . Je ne sais plus combien de temps ça dure et je m'en moque. D'ailleurs je me fous de tout sauf de cette fille que je vois s’éloigner. J'en éprouve une violente tristesse comme si la femme de ma vie venait de me quitter.
Le garçon m'adresse un clin d'œil complice.Cette fois c’est à lui que je demande du feu. Il me donne une pochette d’allumettes. je vide mon verre d’un trait. Je paye puis je me dirige vers la sortie. Je traverse la rue et rentre dans le hall de la gare. On annonce un train pour Grenoble dans dix minutes. Pourquoi pas Grenoble ? Il doit y avoir une correspondance pour Paris. On verra bien. J’y vais. Je descends dans le passage souterrain pour gagner le quai 4. Je monte l’escalier. Le train est déjà là. J’arpente le quai pour trouver un compartiments fumeurs. Je m'arrête un instant pour allumer une cigarette.
–Tiens on se retrouve !
Je me retourne. C’est elle, toujours aussi belle avec un énorme sac de voyage qu’elle laisse tomber par terre pour se planter devant moi les yeux dans les yeux avec un immense sourire aussi fort qu’une caresse.
- Où tu vas ? demande-t-elle .
-À Paris et toi ?
À Chambéry… Je change à Grenoble. On prend le même train. Mais tu n'as pas de bagages ?
-Non je les ai perdus en venant hier. J'avais tellement bu…
Elle rigole, reprend son sac.
–viens, on y va.
Je la suis. Nous montons dans le wagon. Nous parcourons le couloir assez longtemps. Enfin un compartiment vide s’offre à nous. Décidément c'est une journée providentielle…
Je me laisse tomber sur la banquette. Elle pose son sac sur celle d'en face et s’assoit à côté de moi. Elle allume une cigarette qu’elle me met dans la bouche puis une autre pour elle.
- Ça va ? dit-elle.
-Oui, je comate un peu.
-Moi aussi j'ai ma dose. Tu sais quand je t'ai rencontré tout à l'heure, j'allais me faire un fixe.
–Ah ouais qu'est-ce que tu fais sinon ?
Tout… Mais là je suis en vacances. Je vais rejoindre ma fille à la montagne et toi ?
-Plutôt rien depuis longtemps. Enfin, je bois, c’est déjà pas mal.
–Moi je voudrais bien arrêter quand même…
–Moi aussi quel âge as tu ?–
-32 ans et toi ?
-32 aussi, comme par hasard! Au fait moi c'est Gérard et toi ?
– Ghislaine
- Ghislaine, c’est beau dis-je en répétant lentement Ghislaine.
Je la regarde encore. Puis je lui passe le bras autour des épaules et je l'embrasse doucement sur la bouche. Il y a rien à dire. A un moment donné c'est comme ça: maintenant ou jamais. Le train s'ébranle. Pendant quelques minutes je veux sens bien. Je ne désire pas autre chose que cet instant-là : elle et moi, ce matin, ce ciel et ce train qui part.
Cette fois c'est moi qui demande :
–Ça va ?
-oui mais je crois que je vais me refaire un schoot.
–j'ai soif et je sais même pas si j'ai encore de quoi me payer une bière.
- Attends je vais t'en chercher une.
Elle se lève, ouvre la porte du compartiment, la referme. À travers la vitre, je vois la mer plus bleue que jamais. Le soleil m’éblouit. je cligne des yeux puis je tire les rideaux au trois quarts de chaque côté.
Elle revient, me tend une bière d’un air enjoué, referme la porte et tire les autres rideaux coté couloir.
–Voilà ! On est chez nous dit-elle en se collant à moi.
-Tu as pu faire que tu voulais ?
–Pas de problème. Il n’y a personne dans ce train.
- Ça tombe bien dis-je en lui prenant la main.
Elle met sa tête contre mon épaule et se laisse aller. L’espace d'un instant, je me dis que tout ça n'est pas réel : Ce soleil, ce train et cette fille qui m’attire terriblement. Je bois ma bière au goulot en renversant la tête en arrière et j'embrasse Ghislaine. Cette fois elle se laisse aller sur mes genoux . Je passe une main sous sa chemise tandis que pour l’embrasser encore je la retiens de l'autre main.
Tout à coup la porte du compartiment s’ouvre brusquement. Une femme passe la tête et reste éberluée en nous voyant ainsi vautrés sur la banquette. Nous nous redressons. La femme chuchote quelque chose à l'homme qui est derrière elle. Puis voilà qu’ils entrent.Je les fusille du regard tous les deux. Après avoir hissé leurs bagages dans le filet, voilà qu’ils s'assoient en face de nous et se mettent à nous dévisager comme des bêtes curieuses.
Du coup, il me semble je reviens brusquement à la réalité. J’allume une cigarette. Ils me regardent allumer une cigarettecomme s'il n'avait jamais vu ça. Ghislaine fait la même chose.Ils la regardent aussi. Nous sommes pourtant dans un compartiment fumeur !
Ils ne disent rien. Eux ils n’ont sûrement rien à dire. Pourtant ils sont capables de s’étonner en voyant des gens comme nous fumer dans un compartiment fumeur. Ils n’ont jamais fumé sans doute, jamais pris un train sans payer. Ils n’ont aimé qu’une fois. et encore… Ils s'aiment comme ça, sans rien dire, sans fumer, lui avec sa casquette à carreaux et elle avec son foulard fleuri.
- Je vais acheter à boire. Tu viens ? dis-je à Ghislaine pour faire diversion.
Nous déambulons dans le couloir jusqu'au wagon bar. J’ai vraiment besoin d'une bière.
–C’est bientôt Grenoble. S’ils ne descendent pas, je vais changer de place. Ils ne sont vraiment pas marrants.
–Pas vraiment dis-je en pensant avec une certaine angoisse que c'est bientôt Grenoble et que cette lune de miel va prendre fin. En vérité, je suis affolé à l'idée de me retrouver tout seul dans le train pour Paris.
- À quoi tu penses ? me demande Ghislaine en se pressent contre moi .
Je ne réponds pas. Je sens qu'elle a peur aussi. Je l'embrasse et la sert très fort. Il y a des tonnes d’amour et de désarroi dans cette étreinte.
Le train commence à ralentir. Nous nous acheminons à nouveau vers le compartiment. Le couple n'a pas bougé d'un pouce. Ils nous regardent toujours avec un air légèrement étonné et désapprobateur. Ghislaine prend son sac. Je remets mon imperméable. Nous sortons dans le couloir. Nous restons là jusqu’à ce que le train s’immobilise.
-Attends, je descends avec toi . Nous avons le temps. Il y a cinq minutes d’ arrêt.
–Cinq minutes, dis-je, à peine le temps de fumer une cigarette ! La dernière pour la route…T’as un téléphone à Paris ?
- Oui, donne moi le tiens aussi.
À peine le temps de griffonner des numéros sur un papier que déjà les haut-parleurs annoncent le départ.
–Je t'appelle dès que je suis rentrée à Aix murmure-t-elle en m’embrassant.
–Oui, appelle moi vite !
–Rentre bien quand même dit-elle dans un sourire un peu triste.
–Je vais essayer.
Le train démarre. J’ai les mains les mains dans les poches et je marche dans le même sens que lui Je pense que j'aime Ghislaine et que je veux absolument la revoir Je me dis que je ferais le tour du monde s'il le fallait pour la retrouver.
La gare est déjà inondée de soleil à huit heure du matin. Je me demande ce que je fais là. C'est dimanche. Il n'y a presque personne dans le café. Je suis déjà ivre mais complètement lucide. J'ai passé la nuit au wagon bar . Tout à l'heure je rentre à Paris. Je suis venu pour rien. Je repars pour rien. Je voyage pour rien, sans raison et je bois sans façon pour faire voyager l'alcool en moi . Je ne sais plus combien de temps ça dure et je m'en moque. D'ailleurs je me fous de tout sauf de cette fille que je vois s’éloigner. J'en éprouve une violente tristesse comme si la femme de ma vie venait de me quitter.
Le garçon m'adresse un clin d'œil complice.Cette fois c’est à lui que je demande du feu. Il me donne une pochette d’allumettes. je vide mon verre d’un trait. Je paye puis je me dirige vers la sortie. Je traverse la rue et rentre dans le hall de la gare. On annonce un train pour Grenoble dans dix minutes. Pourquoi pas Grenoble ? Il doit y avoir une correspondance pour Paris. On verra bien. J’y vais. Je descends dans le passage souterrain pour gagner le quai 4. Je monte l’escalier. Le train est déjà là. J’arpente le quai pour trouver un compartiments fumeurs. Je m'arrête un instant pour allumer une cigarette.
–Tiens on se retrouve !
Je me retourne. C’est elle, toujours aussi belle avec un énorme sac de voyage qu’elle laisse tomber par terre pour se planter devant moi les yeux dans les yeux avec un immense sourire aussi fort qu’une caresse.
- Où tu vas ? demande-t-elle .
-À Paris et toi ?
À Chambéry… Je change à Grenoble. On prend le même train. Mais tu n'as pas de bagages ?
-Non je les ai perdus en venant hier. J'avais tellement bu…
Elle rigole, reprend son sac.
–viens, on y va.
Je la suis. Nous montons dans le wagon. Nous parcourons le couloir assez longtemps. Enfin un compartiment vide s’offre à nous. Décidément c'est une journée providentielle…
Je me laisse tomber sur la banquette. Elle pose son sac sur celle d'en face et s’assoit à côté de moi. Elle allume une cigarette qu’elle me met dans la bouche puis une autre pour elle.
- Ça va ? dit-elle.
-Oui, je comate un peu.
-Moi aussi j'ai ma dose. Tu sais quand je t'ai rencontré tout à l'heure, j'allais me faire un fixe.
–Ah ouais qu'est-ce que tu fais sinon ?
Tout… Mais là je suis en vacances. Je vais rejoindre ma fille à la montagne et toi ?
-Plutôt rien depuis longtemps. Enfin, je bois, c’est déjà pas mal.
–Moi je voudrais bien arrêter quand même…
–Moi aussi quel âge as tu ?–
-32 ans et toi ?
-32 aussi, comme par hasard! Au fait moi c'est Gérard et toi ?
– Ghislaine
- Ghislaine, c’est beau dis-je en répétant lentement Ghislaine.
Je la regarde encore. Puis je lui passe le bras autour des épaules et je l'embrasse doucement sur la bouche. Il y a rien à dire. A un moment donné c'est comme ça: maintenant ou jamais. Le train s'ébranle. Pendant quelques minutes je veux sens bien. Je ne désire pas autre chose que cet instant-là : elle et moi, ce matin, ce ciel et ce train qui part.
Cette fois c'est moi qui demande :
–Ça va ?
-oui mais je crois que je vais me refaire un schoot.
–j'ai soif et je sais même pas si j'ai encore de quoi me payer une bière.
- Attends je vais t'en chercher une.
Elle se lève, ouvre la porte du compartiment, la referme. À travers la vitre, je vois la mer plus bleue que jamais. Le soleil m’éblouit. je cligne des yeux puis je tire les rideaux au trois quarts de chaque côté.
Elle revient, me tend une bière d’un air enjoué, referme la porte et tire les autres rideaux coté couloir.
–Voilà ! On est chez nous dit-elle en se collant à moi.
-Tu as pu faire que tu voulais ?
–Pas de problème. Il n’y a personne dans ce train.
- Ça tombe bien dis-je en lui prenant la main.
Elle met sa tête contre mon épaule et se laisse aller. L’espace d'un instant, je me dis que tout ça n'est pas réel : Ce soleil, ce train et cette fille qui m’attire terriblement. Je bois ma bière au goulot en renversant la tête en arrière et j'embrasse Ghislaine. Cette fois elle se laisse aller sur mes genoux . Je passe une main sous sa chemise tandis que pour l’embrasser encore je la retiens de l'autre main.
Tout à coup la porte du compartiment s’ouvre brusquement. Une femme passe la tête et reste éberluée en nous voyant ainsi vautrés sur la banquette. Nous nous redressons. La femme chuchote quelque chose à l'homme qui est derrière elle. Puis voilà qu’ils entrent.Je les fusille du regard tous les deux. Après avoir hissé leurs bagages dans le filet, voilà qu’ils s'assoient en face de nous et se mettent à nous dévisager comme des bêtes curieuses.
Du coup, il me semble je reviens brusquement à la réalité. J’allume une cigarette. Ils me regardent allumer une cigarettecomme s'il n'avait jamais vu ça. Ghislaine fait la même chose.Ils la regardent aussi. Nous sommes pourtant dans un compartiment fumeur !
Ils ne disent rien. Eux ils n’ont sûrement rien à dire. Pourtant ils sont capables de s’étonner en voyant des gens comme nous fumer dans un compartiment fumeur. Ils n’ont jamais fumé sans doute, jamais pris un train sans payer. Ils n’ont aimé qu’une fois. et encore… Ils s'aiment comme ça, sans rien dire, sans fumer, lui avec sa casquette à carreaux et elle avec son foulard fleuri.
- Je vais acheter à boire. Tu viens ? dis-je à Ghislaine pour faire diversion.
Nous déambulons dans le couloir jusqu'au wagon bar. J’ai vraiment besoin d'une bière.
–C’est bientôt Grenoble. S’ils ne descendent pas, je vais changer de place. Ils ne sont vraiment pas marrants.
–Pas vraiment dis-je en pensant avec une certaine angoisse que c'est bientôt Grenoble et que cette lune de miel va prendre fin. En vérité, je suis affolé à l'idée de me retrouver tout seul dans le train pour Paris.
- À quoi tu penses ? me demande Ghislaine en se pressent contre moi .
Je ne réponds pas. Je sens qu'elle a peur aussi. Je l'embrasse et la sert très fort. Il y a des tonnes d’amour et de désarroi dans cette étreinte.
Le train commence à ralentir. Nous nous acheminons à nouveau vers le compartiment. Le couple n'a pas bougé d'un pouce. Ils nous regardent toujours avec un air légèrement étonné et désapprobateur. Ghislaine prend son sac. Je remets mon imperméable. Nous sortons dans le couloir. Nous restons là jusqu’à ce que le train s’immobilise.
-Attends, je descends avec toi . Nous avons le temps. Il y a cinq minutes d’ arrêt.
–Cinq minutes, dis-je, à peine le temps de fumer une cigarette ! La dernière pour la route…T’as un téléphone à Paris ?
- Oui, donne moi le tiens aussi.
À peine le temps de griffonner des numéros sur un papier que déjà les haut-parleurs annoncent le départ.
–Je t'appelle dès que je suis rentrée à Aix murmure-t-elle en m’embrassant.
–Oui, appelle moi vite !
–Rentre bien quand même dit-elle dans un sourire un peu triste.
–Je vais essayer.
Le train démarre. J’ai les mains les mains dans les poches et je marche dans le même sens que lui Je pense que j'aime Ghislaine et que je veux absolument la revoir Je me dis que je ferais le tour du monde s'il le fallait pour la retrouver.