Nouvelle lauréate du concours 2015 de la revue Rue Saint Ambroise (parue dans notre numéro 35, spécial concours)
Nicolas Cariven
Visage des Grandes Plaines
J’ai tourné pour entrer dans le parking à ciel ouvert étalé sur des centaines de mètres et elle était là sur le trottoir devant une enseigne de sports. Elle ressemblait à une Indienne, Pueblo ou Navajo. Et en même temps à une fille aux cheveux très longs qui était dans la même école que moi quand j’étais enfant, mais deux ou trois classes au dessus. Je me souviens encore d’elle parce qu’une nuit, dans les Pyrénées, dans une vieille maison qui me faisait peur, j’avais rêvé d’elle, et le rêve m’avait suivi pendant les deux ou trois longs jours éblouissants d’après. Soleil et neige. J’avais alors vu mes parents comme à travers un verre opaque, à la fois loin et proches, flous.
Les arbres sur le parking du centre commercial avaient été plantés dans l’année. Ils se courbaient à chaque rafale du vent d’été. Le ciel était bleu mais des nuages blancs et gris qui semblaient venir de l’autre bout du monde faisaient changer la lumière d’un instant à l’autre. Personne ne semblait croire à ce qu’il faisait. Quelques gouttes de pluie sont venues sur mon pare-brise pour sécher aussitôt. J’ai vu ses cheveux, son visage… et j’ai tout de suite plongé. Séverine devait acheter un parasol. Je lui ai dit que je devais écrire. J’ai fait le sourire d’excuse que j’avais l’impression d’avoir cherché toute ma vie et le moment a été parfait. Elle est sortie de la voiture en repoussant la portière doucement.
Des tas d’histoires me revenaient, des voyages en voiture aussi. Je me suis demandé si nous étions des créatures narratives, des créatures qui ont besoin d’une histoire pour exister, ou si nous étions capable de nous nourrir seulement de coïncidences. De chocs hasardeux entre les choses vivantes. Quand je suis passé prendre de l’essence, le chauffeur de la citerne qui venait de refaire les pleins draguait la caissière des pompes dans sa cabine et comme le micro était en marche j’entendais tout. Le matin j’étais passé dans la ville où mon père avait célébré son deuxième mariage, vingt ans plus tôt. Mariage qui était en train, interminablement, de se solder. J’avais fait une simple prière pour que tout se referme en douceur. Depuis plusieurs jours je ne faisais que tomber sur des chiens enfermés et qui aboyaient. Je me demandais ce que ça pouvait vouloir dire. Et puis là, cette fille au visage des Grandes Plaines. C’était fou comme j’avais cette impression, que tout ce qui était là n’était que de passage, venu de très loin et prêt à y retourner, peut-être même en m’emportant.
J’ai senti que cette fois c’était là bonne. Que j’allais écrire, tout donner, mais que je n’arriverai pas à raconter une histoire. Que j’étais fini peut-être comme écrivain, que les longs fils qui se retrouvaient entre mes mains étaient trop distendus et disparates. Que ma façon de vivre maintenant était bien trop flottante, impersonnelle et relâchée. Et puis non. Un type est arrivé. Personne ne va me croire mais il portait un tee-shirt de Nick Cave et une coiffure à plumes qui traînait par terre. Les plumes étaient immaculées. Il m’a vu en train d’écrire. Je devais avoir l’air complètement perché, seul dans ma voiture, et bingo, il s’est approché de moi. S’il existe quelqu’un qui devrait être habitué à ce genre, disons, de coïncidence, c’est bien moi. Mais j’ai bien dit devrait !
J’ai ouvert la porte du passager pour qu'il s'assoie à la place de Séverine. De gros nuages noirs s’accumulaient en face de nous et tout un autre côté du ciel restait bleu. Deux oiseaux que j’ai pas réussi à reconnaître ont fait des acrobaties belles à pleurer pour finir pas se poser ensemble sur l’arrondi d’un des immenses réverbères du parking. Lui, il a trouvé la boite de croquants aux amandes qu’on avait emportée de chez Bras. Alors je lui ai posé la question :
« Est-ce qu’il se passe quelque chose de beau ici, vraiment, ou c’est moi qui me fait des idées ? je veux dire, tout le monde semble s’en cogner et moi ça me fout par terre ! »
Il a attendu parce que l’averse a éclaté. Tout d’un coup on n’a plus rien vu que du gris, du vent, de l’eau et de la lumière, quelque part derrière nous. Des gens courraient, des voitures se garaient n’importe comment. J’ai pensé encore à ce visage. A toutes ces histoires de types dans la Réserve qui montaient des groupes de rock parce qu’un soir un jeune homme timide et qui aimait la poésie avait trouvé devant chez lui la guitare de Robert Johnson. J’ai pu sentir, comme d’habitude, au creux de ma gorge, que presque tout le temps il n’y a qu’à se baisser pour ramasser toute la beauté qui n’est là que pour ça. J’ai pu sentir à quel point tout pouvait être simple et facile, à portée de main. Et lui il avait fini le paquet de gâteaux, il regardait l’emblème de la cistre, une herbe des champs, sur le couvercle. Il a plongé ses yeux dans les miens et il m’a dit :
« C’est toi qui a raison, ils ne remarquent rien, mais c’est ainsi, les histoires sont partout… »
Des tas d’histoires me revenaient, des voyages en voiture aussi. Je me suis demandé si nous étions des créatures narratives, des créatures qui ont besoin d’une histoire pour exister, ou si nous étions capable de nous nourrir seulement de coïncidences. De chocs hasardeux entre les choses vivantes. Quand je suis passé prendre de l’essence, le chauffeur de la citerne qui venait de refaire les pleins draguait la caissière des pompes dans sa cabine et comme le micro était en marche j’entendais tout. Le matin j’étais passé dans la ville où mon père avait célébré son deuxième mariage, vingt ans plus tôt. Mariage qui était en train, interminablement, de se solder. J’avais fait une simple prière pour que tout se referme en douceur. Depuis plusieurs jours je ne faisais que tomber sur des chiens enfermés et qui aboyaient. Je me demandais ce que ça pouvait vouloir dire. Et puis là, cette fille au visage des Grandes Plaines. C’était fou comme j’avais cette impression, que tout ce qui était là n’était que de passage, venu de très loin et prêt à y retourner, peut-être même en m’emportant.
J’ai senti que cette fois c’était là bonne. Que j’allais écrire, tout donner, mais que je n’arriverai pas à raconter une histoire. Que j’étais fini peut-être comme écrivain, que les longs fils qui se retrouvaient entre mes mains étaient trop distendus et disparates. Que ma façon de vivre maintenant était bien trop flottante, impersonnelle et relâchée. Et puis non. Un type est arrivé. Personne ne va me croire mais il portait un tee-shirt de Nick Cave et une coiffure à plumes qui traînait par terre. Les plumes étaient immaculées. Il m’a vu en train d’écrire. Je devais avoir l’air complètement perché, seul dans ma voiture, et bingo, il s’est approché de moi. S’il existe quelqu’un qui devrait être habitué à ce genre, disons, de coïncidence, c’est bien moi. Mais j’ai bien dit devrait !
J’ai ouvert la porte du passager pour qu'il s'assoie à la place de Séverine. De gros nuages noirs s’accumulaient en face de nous et tout un autre côté du ciel restait bleu. Deux oiseaux que j’ai pas réussi à reconnaître ont fait des acrobaties belles à pleurer pour finir pas se poser ensemble sur l’arrondi d’un des immenses réverbères du parking. Lui, il a trouvé la boite de croquants aux amandes qu’on avait emportée de chez Bras. Alors je lui ai posé la question :
« Est-ce qu’il se passe quelque chose de beau ici, vraiment, ou c’est moi qui me fait des idées ? je veux dire, tout le monde semble s’en cogner et moi ça me fout par terre ! »
Il a attendu parce que l’averse a éclaté. Tout d’un coup on n’a plus rien vu que du gris, du vent, de l’eau et de la lumière, quelque part derrière nous. Des gens courraient, des voitures se garaient n’importe comment. J’ai pensé encore à ce visage. A toutes ces histoires de types dans la Réserve qui montaient des groupes de rock parce qu’un soir un jeune homme timide et qui aimait la poésie avait trouvé devant chez lui la guitare de Robert Johnson. J’ai pu sentir, comme d’habitude, au creux de ma gorge, que presque tout le temps il n’y a qu’à se baisser pour ramasser toute la beauté qui n’est là que pour ça. J’ai pu sentir à quel point tout pouvait être simple et facile, à portée de main. Et lui il avait fini le paquet de gâteaux, il regardait l’emblème de la cistre, une herbe des champs, sur le couvercle. Il a plongé ses yeux dans les miens et il m’a dit :
« C’est toi qui a raison, ils ne remarquent rien, mais c’est ainsi, les histoires sont partout… »