Fatma Benyamina
Après l'école
Rachel se ratatine sous le regard de Madame Soudant et son visage devient cramoisi. Le regard sévère la fixe intensément.
«Tu ne vas pas me dire que tu as encore oublié de faire tes devoirs ! C’est le même cirque à chaque fois en ce moment !
L’institutrice baisse ses grosses lunettes rouges et la regarde d’un air plus doux.
« Je ne comprends pas ce qui t’arrive, tu es une si bonne élève !»
Rachel se ratatine sous le regard de Madame Soudant et son visage devient cramoisi. Le regard sévère la fixe intensément.
«Tu ne vas pas me dire que tu as encore oublié de faire tes devoirs ! C’est le même cirque à chaque fois en ce moment !
L’institutrice baisse ses grosses lunettes rouges et la regarde d’un air plus doux.
« Je ne comprends pas ce qui t’arrive, tu es une si bonne élève !»
Rachel rougit de plus belle. Elle a soudain peur que Madame Soudant lise en elle et devine la vérité. Les autres élèves la dévisagent d’un air moqueur. Ils l’ont toujours traitée de fayotte et de lèche-cul de la mère Soudant.
«Ecoute, Rachel, je ne sais pas ce qui se passe mais je souhaite voir ta mère au plus vite.
Le cœur de Rachel bat la chamade, elle sent qu’il va sortir de sa poitrine, elle a mal.
«Non, non, a-t-elle crié. Elle s’est levée sans s’en rendre compte et se rassoit aussitôt.
- Ça suffit, Rachel, donne-moi ton cahier de liaison.
Rachel le tend sans discuter. Elle est fichue.
Madame Soudant se rassoit à son bureau. Elle remet en place ses cheveux toujours en pétard et semble brusquement épuisée. Elle plisse sa jupe froissée et pointe son doigt sur un autre élève puis l’envoie au tableau. Ses changements d’humeur effraient les petits et le silence se fait intense.
La petite Rachel est soulagée. Tout le monde semble l’avoir oubliée. Le reste de la journée se passe ensuite dans une sorte de brouillard.
Plus rien ne l’intéresse vraiment. Le monde du dehors lui est devenu trouble et lointain. Les voix et les rires lui arrivent à pas feutrés. Son monde à elle est étrange et inquiétant. Il est fait de fuites et de frayeurs. De sursauts et de battements saccadés. De secrets derrière une porte close.
La cloche de l’école annonce la fin des cours. Rachel tremble, son corps est lourd. Elle n’arrive pas à se lever. Elle ne veut pas rentrer.
Dans le couloir, tous les élèves courent, hurlent et se poussent violemment. Mano, son voisin de classe, profite de la pagaille pour la faire tomber. Il se penche et lui braille dans les oreilles.
«Bien fait pour ta gueule, la grosse Rachel ! »
Elle se relève sans pleurer. Elle a l’habitude.
Devant la grille, Rachel les voit tous les deux qui l’attendent, l’air sombre. Assis à leurs pieds, ses bras entourant ses genoux, son petit frère Tobias. Lorsqu’il la voit, il se lève et cours vers elle. Elle lui sourit et l’entoure de ses bras.
« Tobias ! Je suis contente de te voir !
Il se serre de plus belle contre elle. Elle peut sentir sa tristesse, en tout point semblable à la sienne.
Elle lève les yeux vers Lucas et Léa qui lui sourient en cœur. A ce moment très précis, leur ressemblance est frappante. Sa grande sœur tend le bras pour récupérer son sac à roulettes, Lucas lui tapote la tête.
« Alors, Rachel, cette journée? »
Elle ne répond pas et avance en tenant la main de Tobias. Elle n’aime pas que les grands ne s’occupent pas de lui. Ils l’ignorent totalement.
Leur maison se trouve à un kilomètre environ de l’école. Tobias n’en peut plus. Il se traîne, il gémit, il gigote. Elle négocie, se met en colère, le cajole.
La fin du trajet devient très éprouvante pour Rachel. Ses pas deviennent lourds comme si soudain ses petites chaussures d’été se transformaient en lourdes bottes.
Soudain, les voilà tous devant la grille verte de l’entrée. Celle-ci reste toujours fermée à clef désormais. Léa sort un lourd trousseau de clés de son sac à dos et ouvre en tremblant. Elle fait tomber le trousseau en reprenant les clefs.
« Mais quelle conne, crie Lucas, toujours aussi maladroite.
- Connard toi-même !
Léa se met à hurler et le frappe violemment au visage.
Son frère lui saisit le bras et le tient fermement serré.
«Ta gueule, espèce d’hystérique, murmure-t-il, tu vas nous faire repérer !
Il ramasse le trousseau et traverse la cour. Les filles sont restées derrière, tétanisées. Tobias se colle contre Rachel. Il a peur.
Lucas se tient debout devant la porte d’entrée et les observe. Ses yeux bleus lancent des éclairs.
«Alors, les filles, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
- Tu oublies encore Tobias, crie Rachel. Il est là aussi !
- Ah oui, bien sûr, Tobias. Allez, viens, Tobias !
Le petit garçon se met à courir et ils disparaissent tous les deux à l’intérieur. Léa les suit la tête basse, traînant difficilement le sac à roulette sur les cailloux.
Rachel décide enfin d’entrer à son tour. Elle se tient immobile, seule sur le perron puis s’engouffre lentement dans l’obscurité de la maison. Lucas insiste toujours pour que les volets soient fermés toute la journée.
« Bon, je vais aérer un peu, lance l’adolescent de sa voix éraillée. Ça pue ici !
- Nous y voilà, chuchote Rachel dans l’oreille de Tobias. N’aies pas peur, je suis là.
Très vite, les jumeaux montent à l’étage et s’enferment dans leurs chambres. Comme tous les soirs, Rachel se retrouve livrée à elle-même.
Ces deux-là sont devenues des personnes étranges. Ils ne rient plus. Ne chahutent plus. Ne se disputent presque plus. On dirait qu’un mur invisible s’est dressé entre chacun d’eux.
Rachel installe Tobias devant la télé qu’elle allume aussitôt. Tandis qu’il sourit déjà devant les images, elle va dans la cuisine pour chercher de quoi goûter.
Comme d’habitude, le désordre dans la pièce la choque. La vaisselle sale, partout. Dans l’évier, sur le plan de travail, sur la table.
Malgré l’air frais qui vient du dehors, l’odeur est insupportable. Elle doit se boucher le nez.
Elle fouille dans le placard, prend un paquet au hasard, court très vite au salon. Puis tente de reprendre sa respiration avant de parler à Tobias.
«Tiens, régales-toi, dit-elle en lui tendant un biscuit. Elle s’assoit ensuite près de lui et se laisse absorber par les images. Ils passent ainsi de chaîne en chaîne en oubliant tout.
Quelques temps après, Lucas redescend. Elle sent son regard dans son dos mais il ne prononce aucun mot.
Il referme un à un tous les volets du rez-de-chaussée
Elle l’entend fouiller dans la cuisine à la recherche de nourriture. Les placards claquent violemment. Il est en colère.
Rachel écoute ses pas lourds qui montent les marches en bois. Elle voudrait lui dire : Ne t’en vas pas, s’il te plaît, reste avec moi.
Mais elle préfère se taire.
Le temps se dilue ensuite dans un torrent d’annonces publicitaires et de dessins animés hystériques. Des heures ou des minutes sont passées, Rachel ne sait plus trop, lorsqu’elle prend son courage à deux mains pour retourner à la cuisine. Elle attrape rapidement un paquet de chips qu’elle partage avec Tobias.
Il fait nuit maintenant, il faut monter.
Elle vérifie que la porte d’entrée est bien fermée à clef.
Elle doit répéter dix fois « bien fermée bien fermée bien fermée » en tirant sur la poignée. Elle ne peut plus s’en empêcher.
Elle rejoint Tobias toujours plongé dans ses dessins animés.
« Maman, dit-il brusquement.
Le mot résonne comme une menace dans la grande pièce blanche.
Il se met à geindre « Maman, je veux maman » !
- Chut, Tobias. Maman revient bientôt, tu m’entends ?
Elle le berce tout doucement et le petit garçon finit par se calmer.
«Viens, on va se coucher maintenant. Tu veux une histoire?
Rachel monte lentement, très lentement, les escaliers.
Elle déteste cette maison.
Immobile sur le palier, elle tend l’oreille.
Elle doit traverser un long couloir avant d’atteindre sa chambre.
Il faut, pense-t-elle, il faut que je fasse le jeu des cases.
« Il y a des cases paires et des cases impaires. Ce soir, les cases impaires vont nous protéger. Tu as bien compris ? Tu ne lâches pas ma main surtout. »
A mi-chemin, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à la porte de la chambre de sa mère.
Il lui semble entendre un grondement venant de l’intérieur.
C’est le basilic qui gronde ainsi. C’est là qu’il vit. Oui, ce monstre, ce dragon à tête de coq vit là-dedans. Il ressemble à celui sur la couverture de son livre. Le même. Exactement. Ce livre à la couverture hideuse qui l’effrayait tant ! Elle avait fini par l’enfermer dans l’armoire sous des couches de vêtements.
« Il ne faut pas, pense Rachel. Il ne faut pas rentrer dans la chambre de maman.
Elle sait très bien que de toute façon, les jumeaux ont fermé la chambre à clef. Que de toute façon, elle ne peut pas rentrer. Que de toute façon, le monstre ne peut pas s’enfuir.
« Enfin une case impaire, Tobias ! On est protégé. On reste là encore un peu »
Elle se doute bien que le monstre écoute à travers la porte. Mais ce soir, il ne peut rien contre les cases impaires.
Elle secoue la tête. Elle voudrait bien oublier ce qui s’est passé l’autre jour dans cette chambre. La lettre sur la table de nuit.
Elle qui pleurait. Léa qui tremblait. Lucas qui criait.
On ne doit rien dire, répétait-il, on ne doit rien dire. Si on le fait, on sera séparés !
Alors, il ne faut rien dire à personne. Il faut taire ce corps froid et bleu.
Depuis ce jour-là, ce terrible secret vit tapi dans l’ombre de leur maison. Si monstrueux, si terrifiant qu’ils ont dû l’enfermer à clef.
Soudain, Tobias pousse un cri et court vers la chambre de maman. Il essaie d’ouvrir la porte, n’y arrive pas. Il frappe alors le bois de ses petits poings.
« Maman, je veux maman !
Aussitôt, Léa et Lucas surgissent de leur chambre.
« Rachel, arrête ça tout de suite, lance Lucas, tu m’entends, arrête ça tout de suite !
Léa se précipite vers Rachel et la serre dans ses bras. La petite fille tremble, son visage est baigné de larmes.
« C’est Tobias ! C’est Tobias qui voulait entrer, pas moi ».
Léa saisit doucement la tête de sa sœur entre ses mains et lui embrasse les joues puis le front.
- Rachel, écoutes-moi bien, chuchote la jeune fille, Tobias n’existe pas. Tu m’entends ? Il n’y a pas de Tobias.
Il n’y a que nous trois dans cette maison.
«Ecoute, Rachel, je ne sais pas ce qui se passe mais je souhaite voir ta mère au plus vite.
Le cœur de Rachel bat la chamade, elle sent qu’il va sortir de sa poitrine, elle a mal.
«Non, non, a-t-elle crié. Elle s’est levée sans s’en rendre compte et se rassoit aussitôt.
- Ça suffit, Rachel, donne-moi ton cahier de liaison.
Rachel le tend sans discuter. Elle est fichue.
Madame Soudant se rassoit à son bureau. Elle remet en place ses cheveux toujours en pétard et semble brusquement épuisée. Elle plisse sa jupe froissée et pointe son doigt sur un autre élève puis l’envoie au tableau. Ses changements d’humeur effraient les petits et le silence se fait intense.
La petite Rachel est soulagée. Tout le monde semble l’avoir oubliée. Le reste de la journée se passe ensuite dans une sorte de brouillard.
Plus rien ne l’intéresse vraiment. Le monde du dehors lui est devenu trouble et lointain. Les voix et les rires lui arrivent à pas feutrés. Son monde à elle est étrange et inquiétant. Il est fait de fuites et de frayeurs. De sursauts et de battements saccadés. De secrets derrière une porte close.
La cloche de l’école annonce la fin des cours. Rachel tremble, son corps est lourd. Elle n’arrive pas à se lever. Elle ne veut pas rentrer.
Dans le couloir, tous les élèves courent, hurlent et se poussent violemment. Mano, son voisin de classe, profite de la pagaille pour la faire tomber. Il se penche et lui braille dans les oreilles.
«Bien fait pour ta gueule, la grosse Rachel ! »
Elle se relève sans pleurer. Elle a l’habitude.
Devant la grille, Rachel les voit tous les deux qui l’attendent, l’air sombre. Assis à leurs pieds, ses bras entourant ses genoux, son petit frère Tobias. Lorsqu’il la voit, il se lève et cours vers elle. Elle lui sourit et l’entoure de ses bras.
« Tobias ! Je suis contente de te voir !
Il se serre de plus belle contre elle. Elle peut sentir sa tristesse, en tout point semblable à la sienne.
Elle lève les yeux vers Lucas et Léa qui lui sourient en cœur. A ce moment très précis, leur ressemblance est frappante. Sa grande sœur tend le bras pour récupérer son sac à roulettes, Lucas lui tapote la tête.
« Alors, Rachel, cette journée? »
Elle ne répond pas et avance en tenant la main de Tobias. Elle n’aime pas que les grands ne s’occupent pas de lui. Ils l’ignorent totalement.
Leur maison se trouve à un kilomètre environ de l’école. Tobias n’en peut plus. Il se traîne, il gémit, il gigote. Elle négocie, se met en colère, le cajole.
La fin du trajet devient très éprouvante pour Rachel. Ses pas deviennent lourds comme si soudain ses petites chaussures d’été se transformaient en lourdes bottes.
Soudain, les voilà tous devant la grille verte de l’entrée. Celle-ci reste toujours fermée à clef désormais. Léa sort un lourd trousseau de clés de son sac à dos et ouvre en tremblant. Elle fait tomber le trousseau en reprenant les clefs.
« Mais quelle conne, crie Lucas, toujours aussi maladroite.
- Connard toi-même !
Léa se met à hurler et le frappe violemment au visage.
Son frère lui saisit le bras et le tient fermement serré.
«Ta gueule, espèce d’hystérique, murmure-t-il, tu vas nous faire repérer !
Il ramasse le trousseau et traverse la cour. Les filles sont restées derrière, tétanisées. Tobias se colle contre Rachel. Il a peur.
Lucas se tient debout devant la porte d’entrée et les observe. Ses yeux bleus lancent des éclairs.
«Alors, les filles, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
- Tu oublies encore Tobias, crie Rachel. Il est là aussi !
- Ah oui, bien sûr, Tobias. Allez, viens, Tobias !
Le petit garçon se met à courir et ils disparaissent tous les deux à l’intérieur. Léa les suit la tête basse, traînant difficilement le sac à roulette sur les cailloux.
Rachel décide enfin d’entrer à son tour. Elle se tient immobile, seule sur le perron puis s’engouffre lentement dans l’obscurité de la maison. Lucas insiste toujours pour que les volets soient fermés toute la journée.
« Bon, je vais aérer un peu, lance l’adolescent de sa voix éraillée. Ça pue ici !
- Nous y voilà, chuchote Rachel dans l’oreille de Tobias. N’aies pas peur, je suis là.
Très vite, les jumeaux montent à l’étage et s’enferment dans leurs chambres. Comme tous les soirs, Rachel se retrouve livrée à elle-même.
Ces deux-là sont devenues des personnes étranges. Ils ne rient plus. Ne chahutent plus. Ne se disputent presque plus. On dirait qu’un mur invisible s’est dressé entre chacun d’eux.
Rachel installe Tobias devant la télé qu’elle allume aussitôt. Tandis qu’il sourit déjà devant les images, elle va dans la cuisine pour chercher de quoi goûter.
Comme d’habitude, le désordre dans la pièce la choque. La vaisselle sale, partout. Dans l’évier, sur le plan de travail, sur la table.
Malgré l’air frais qui vient du dehors, l’odeur est insupportable. Elle doit se boucher le nez.
Elle fouille dans le placard, prend un paquet au hasard, court très vite au salon. Puis tente de reprendre sa respiration avant de parler à Tobias.
«Tiens, régales-toi, dit-elle en lui tendant un biscuit. Elle s’assoit ensuite près de lui et se laisse absorber par les images. Ils passent ainsi de chaîne en chaîne en oubliant tout.
Quelques temps après, Lucas redescend. Elle sent son regard dans son dos mais il ne prononce aucun mot.
Il referme un à un tous les volets du rez-de-chaussée
Elle l’entend fouiller dans la cuisine à la recherche de nourriture. Les placards claquent violemment. Il est en colère.
Rachel écoute ses pas lourds qui montent les marches en bois. Elle voudrait lui dire : Ne t’en vas pas, s’il te plaît, reste avec moi.
Mais elle préfère se taire.
Le temps se dilue ensuite dans un torrent d’annonces publicitaires et de dessins animés hystériques. Des heures ou des minutes sont passées, Rachel ne sait plus trop, lorsqu’elle prend son courage à deux mains pour retourner à la cuisine. Elle attrape rapidement un paquet de chips qu’elle partage avec Tobias.
Il fait nuit maintenant, il faut monter.
Elle vérifie que la porte d’entrée est bien fermée à clef.
Elle doit répéter dix fois « bien fermée bien fermée bien fermée » en tirant sur la poignée. Elle ne peut plus s’en empêcher.
Elle rejoint Tobias toujours plongé dans ses dessins animés.
« Maman, dit-il brusquement.
Le mot résonne comme une menace dans la grande pièce blanche.
Il se met à geindre « Maman, je veux maman » !
- Chut, Tobias. Maman revient bientôt, tu m’entends ?
Elle le berce tout doucement et le petit garçon finit par se calmer.
«Viens, on va se coucher maintenant. Tu veux une histoire?
Rachel monte lentement, très lentement, les escaliers.
Elle déteste cette maison.
Immobile sur le palier, elle tend l’oreille.
Elle doit traverser un long couloir avant d’atteindre sa chambre.
Il faut, pense-t-elle, il faut que je fasse le jeu des cases.
« Il y a des cases paires et des cases impaires. Ce soir, les cases impaires vont nous protéger. Tu as bien compris ? Tu ne lâches pas ma main surtout. »
A mi-chemin, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à la porte de la chambre de sa mère.
Il lui semble entendre un grondement venant de l’intérieur.
C’est le basilic qui gronde ainsi. C’est là qu’il vit. Oui, ce monstre, ce dragon à tête de coq vit là-dedans. Il ressemble à celui sur la couverture de son livre. Le même. Exactement. Ce livre à la couverture hideuse qui l’effrayait tant ! Elle avait fini par l’enfermer dans l’armoire sous des couches de vêtements.
« Il ne faut pas, pense Rachel. Il ne faut pas rentrer dans la chambre de maman.
Elle sait très bien que de toute façon, les jumeaux ont fermé la chambre à clef. Que de toute façon, elle ne peut pas rentrer. Que de toute façon, le monstre ne peut pas s’enfuir.
« Enfin une case impaire, Tobias ! On est protégé. On reste là encore un peu »
Elle se doute bien que le monstre écoute à travers la porte. Mais ce soir, il ne peut rien contre les cases impaires.
Elle secoue la tête. Elle voudrait bien oublier ce qui s’est passé l’autre jour dans cette chambre. La lettre sur la table de nuit.
Elle qui pleurait. Léa qui tremblait. Lucas qui criait.
On ne doit rien dire, répétait-il, on ne doit rien dire. Si on le fait, on sera séparés !
Alors, il ne faut rien dire à personne. Il faut taire ce corps froid et bleu.
Depuis ce jour-là, ce terrible secret vit tapi dans l’ombre de leur maison. Si monstrueux, si terrifiant qu’ils ont dû l’enfermer à clef.
Soudain, Tobias pousse un cri et court vers la chambre de maman. Il essaie d’ouvrir la porte, n’y arrive pas. Il frappe alors le bois de ses petits poings.
« Maman, je veux maman !
Aussitôt, Léa et Lucas surgissent de leur chambre.
« Rachel, arrête ça tout de suite, lance Lucas, tu m’entends, arrête ça tout de suite !
Léa se précipite vers Rachel et la serre dans ses bras. La petite fille tremble, son visage est baigné de larmes.
« C’est Tobias ! C’est Tobias qui voulait entrer, pas moi ».
Léa saisit doucement la tête de sa sœur entre ses mains et lui embrasse les joues puis le front.
- Rachel, écoutes-moi bien, chuchote la jeune fille, Tobias n’existe pas. Tu m’entends ? Il n’y a pas de Tobias.
Il n’y a que nous trois dans cette maison.