Le Golvan
D’amour qu’il est question
Mon chéri, mon si vieil amant,
Je t’ai trompé une première fois lors de notre voyage de noces, à Tahiti. Ne va pas t’imaginer une idylle des îles ; lui n’avait rien d’un Polynésien. D’après mes souvenirs, il avait plutôt ta carrure ; pas un athlète, pas vraiment beau, aussi blanc que toi. Il m’a seulement suivie là-bas, je l’ai longtemps attendu.
Mon chéri, mon si vieil amant,
Je t’ai trompé une première fois lors de notre voyage de noces, à Tahiti. Ne va pas t’imaginer une idylle des îles ; lui n’avait rien d’un Polynésien. D’après mes souvenirs, il avait plutôt ta carrure ; pas un athlète, pas vraiment beau, aussi blanc que toi. Il m’a seulement suivie là-bas, je l’ai longtemps attendu.
Toi, tu bandais en continu sous le soleil et ton paréo télescopique. Tu te sentais si viril, si puissant, que tu aurais pu ensemencer l’océan pacifique, surtout cette fois où nous avons fait l’amour dans le lagon de Bora Bora. Je ne te retire pas le plaisir que j’ai pu y trouver, je ne te cacherai pas non plus aujourd’hui ce qu’il m’a fallu concéder pour t’y rejoindre un peu. Je me le rappelle parfaitement : l’eau faisait des clapotis surexcités, nous étions cernés de poissons multicolores dans notre frayère, et les poissons ont des yeux, eux aussi… Tandis que lui s’est d’abord offert à moi par les mains. Il a tracé de mon corps une longue esquisse, des chevilles jusqu’à la nuque, et je me suis sentie immense. J’étais un paysage vibré ; inconnue à moi-même. Ma peau distinguait chaque strie de ses empreintes et répondait pore à pore. Il avait comme l’éternité pour respirer mes reins et pour, avec à peine son souffle, disperser mon pubis en plumes volatiles. Puis il a enfoncé son visage dans mon ventre et l’a entièrement dénoué. Il ne me parlait pas, ne s’inquiétait pas de savoir si je le sentais, si j’étais vraiment sûre d’avoir du plaisir moi aussi, si je le sentais toujours bien, sans mentir, s’il était aussi dur que toi… Il ne me prenait pas à témoin d’un sexe dont je ne voulais rien savoir à cet âge de ma vie, tu comprends ? Avec lui, je n’avais pas à recevoir, je prenais.
La deuxième fois remonte à ma première grossesse, lorsque nous habitions encore le deux-pièces au cinquième étage. J’étais tour à tour devenue à tes yeux la madone et la bête, porteuse ou vêlante, selon tes angoisses du jour. Mon corps était un tiers à demeure sur lequel tu posais tes deux mains comme pour en traverser la peau, les chairs. Les quelques fois où tu me pénétrais, tu t’avançais en clinicien, tu prenais des postures d’anatomiste précautionneux et puis tu m’en voulais immédiatement après d’avoir attiré au fin-fond des mystères de la création ton petit bâton de futur patriarche. Souvent tu te contentais de m’embrasser le front comme on lustre un ex-voto. Je t’entendais te masturber tous les soirs dans la salle de bain, en pénitence… Cet autre que j’aimais alors n’avait rien de particulier ; je ne lui trouvais en définitive pas plus de charme qu’à toi, mais il m’a allongée, montée, pétrie et retournée, il m’a fessée et léchée, désirée pour ce que j’étais, un corps démultiplié, un sexe exponentiel, avec sa capacité de porter à la démesure l’écho de chaque secousse de plaisir ! Et jusqu’à aujourd’hui, je te le jure. Toutes ces nuits passées avec lui, je n’étais pas seulement ceinte du ventre des mères archaïques mais je portais d’abord -et haut !- les cuisses victorieuses de l’amante absolue, que couronnait le V parfait de mon sexe.
Le troisième est arrivé autour de la quarantaine. Tu vois, je ne suis pas si infidèle. De ton côté, tu t’étais mis dans l’idée de te servir de mon corps comme on part en expédition : retour brutal de la libido, petite foulée et guide pratique. Tu cherchais des positions, des sites, des quincailleries, des Annapurna orgasmiques là où il n’avait qu’une femme, ta femme. Il me semblait que j’étais devenue tout à la fois ton livre d’or, ton compteur et ton banc d’essai. Fréquence, poids et mesures, résistances des corps, métrique du jouir, tu forçais tes décibels comme s’ils allaient couvrir ceux que je ne pouvais pas émettre. Tu n’en sortais du plaisir qu’à condition d’avoir ta dose de sueur animale. Les kilos aidant, tu jouissais au moins ton compte. Nous avons transformé le désir en pratique hygiéniste. Jamais je ne me suis autant identifiée à un organe, et toi à ton orgasme. Résignée est le mot exact… Quant à l’autre, je peux dire que je l’ai désiré et appelé sans relâche, plus fort encore à chacun de tes assauts. Curieusement, il avait ton odeur, cela ne m’a pas gênée, pas écœurée, j’aime encore ton odeur. Nous avons passé un temps infini ensemble, sans que tu t’en aperçoives jamais, comme toujours. Nous avons plus que tout cultivé la rareté. Nous parlions longtemps, dans les parcs ou dans le salon pendant une lecture. Nous cherchions d’abord ce qui dans les mots ouvre le plaisir, gonfle les veines et donne cette gorgée de salive pure qui se laisse boire sous la langue de l’autre. Et lorsque qu’enfin nous avions suffisamment construit cet appétit, lorsque nos ventres se tordaient vraiment, nous nous dénudions l’un l’autre avec lenteur, peu importe où nous nous trouvions, et nous réapprenions tout : le toucher maladroit de mon sein, les joues en feu, ce qu’une oreille laisse entendre lorsque d’autres lèvres s’en emparent, comment seulement tenir sa verge… C’était un homme au corps dédié à mes sens, j’étais redevenue une femme. L’amour changeait d’intensité à chaque fois, je me suis alors abandonnée à lui comme jamais je ne l’ai fait pour toi.
Il me reste un dernier homme à t’avouer même si je le cherche encore. Ne me parle pas de honte, je n’en ai aucune. Il me manque mais je sais déjà que j’ai formé mes hanches pour ses mains, mes lèvres connaissent déjà la pulpe des siennes, le piquant de sa bouche, l’âcreté de ses fluides. Je n’ai jamais serré d’autres fesses que les siennes. J’aimerai la masse de son corps, la graisse des ans qui l’attache au monde et sa force de me serrer toujours intacte. Il ne sera pas plus jeune ou plus vieux que toi, je souhaite même qu’il te ressemble, mais pas totalement, tu comprends ? Ce ne sera pas toi tel que tu es, inchangé aujourd’hui, toi qui me regardes pourtant ces dernières années avec un respect nouveau. Je te vois hésiter là où tes doigts entraient sans permission. Il reste un dernier homme, il dépendra de toi.
Mon chéri, mon si vieil amant, ce qu’une femme demandera toujours à l’autre, ce n’est pas tant de ressembler à celui qu’elle voudrait qu’il soit mais qu’il devienne lui-même toujours autre à ses yeux, afin qu’elle le lui demande encore, et longtemps. Il y a eu ces autres que j’ai aimés au moment où je te voulais à leur image. Ils avaient tous ton visage et ont glissé sur notre vie à contresens, à contretemps. Sans doute je ne t’aimerais pas si tu avais été tous ces autres à la fois. L’amour se défait autant qu’il ne se fait.
La deuxième fois remonte à ma première grossesse, lorsque nous habitions encore le deux-pièces au cinquième étage. J’étais tour à tour devenue à tes yeux la madone et la bête, porteuse ou vêlante, selon tes angoisses du jour. Mon corps était un tiers à demeure sur lequel tu posais tes deux mains comme pour en traverser la peau, les chairs. Les quelques fois où tu me pénétrais, tu t’avançais en clinicien, tu prenais des postures d’anatomiste précautionneux et puis tu m’en voulais immédiatement après d’avoir attiré au fin-fond des mystères de la création ton petit bâton de futur patriarche. Souvent tu te contentais de m’embrasser le front comme on lustre un ex-voto. Je t’entendais te masturber tous les soirs dans la salle de bain, en pénitence… Cet autre que j’aimais alors n’avait rien de particulier ; je ne lui trouvais en définitive pas plus de charme qu’à toi, mais il m’a allongée, montée, pétrie et retournée, il m’a fessée et léchée, désirée pour ce que j’étais, un corps démultiplié, un sexe exponentiel, avec sa capacité de porter à la démesure l’écho de chaque secousse de plaisir ! Et jusqu’à aujourd’hui, je te le jure. Toutes ces nuits passées avec lui, je n’étais pas seulement ceinte du ventre des mères archaïques mais je portais d’abord -et haut !- les cuisses victorieuses de l’amante absolue, que couronnait le V parfait de mon sexe.
Le troisième est arrivé autour de la quarantaine. Tu vois, je ne suis pas si infidèle. De ton côté, tu t’étais mis dans l’idée de te servir de mon corps comme on part en expédition : retour brutal de la libido, petite foulée et guide pratique. Tu cherchais des positions, des sites, des quincailleries, des Annapurna orgasmiques là où il n’avait qu’une femme, ta femme. Il me semblait que j’étais devenue tout à la fois ton livre d’or, ton compteur et ton banc d’essai. Fréquence, poids et mesures, résistances des corps, métrique du jouir, tu forçais tes décibels comme s’ils allaient couvrir ceux que je ne pouvais pas émettre. Tu n’en sortais du plaisir qu’à condition d’avoir ta dose de sueur animale. Les kilos aidant, tu jouissais au moins ton compte. Nous avons transformé le désir en pratique hygiéniste. Jamais je ne me suis autant identifiée à un organe, et toi à ton orgasme. Résignée est le mot exact… Quant à l’autre, je peux dire que je l’ai désiré et appelé sans relâche, plus fort encore à chacun de tes assauts. Curieusement, il avait ton odeur, cela ne m’a pas gênée, pas écœurée, j’aime encore ton odeur. Nous avons passé un temps infini ensemble, sans que tu t’en aperçoives jamais, comme toujours. Nous avons plus que tout cultivé la rareté. Nous parlions longtemps, dans les parcs ou dans le salon pendant une lecture. Nous cherchions d’abord ce qui dans les mots ouvre le plaisir, gonfle les veines et donne cette gorgée de salive pure qui se laisse boire sous la langue de l’autre. Et lorsque qu’enfin nous avions suffisamment construit cet appétit, lorsque nos ventres se tordaient vraiment, nous nous dénudions l’un l’autre avec lenteur, peu importe où nous nous trouvions, et nous réapprenions tout : le toucher maladroit de mon sein, les joues en feu, ce qu’une oreille laisse entendre lorsque d’autres lèvres s’en emparent, comment seulement tenir sa verge… C’était un homme au corps dédié à mes sens, j’étais redevenue une femme. L’amour changeait d’intensité à chaque fois, je me suis alors abandonnée à lui comme jamais je ne l’ai fait pour toi.
Il me reste un dernier homme à t’avouer même si je le cherche encore. Ne me parle pas de honte, je n’en ai aucune. Il me manque mais je sais déjà que j’ai formé mes hanches pour ses mains, mes lèvres connaissent déjà la pulpe des siennes, le piquant de sa bouche, l’âcreté de ses fluides. Je n’ai jamais serré d’autres fesses que les siennes. J’aimerai la masse de son corps, la graisse des ans qui l’attache au monde et sa force de me serrer toujours intacte. Il ne sera pas plus jeune ou plus vieux que toi, je souhaite même qu’il te ressemble, mais pas totalement, tu comprends ? Ce ne sera pas toi tel que tu es, inchangé aujourd’hui, toi qui me regardes pourtant ces dernières années avec un respect nouveau. Je te vois hésiter là où tes doigts entraient sans permission. Il reste un dernier homme, il dépendra de toi.
Mon chéri, mon si vieil amant, ce qu’une femme demandera toujours à l’autre, ce n’est pas tant de ressembler à celui qu’elle voudrait qu’il soit mais qu’il devienne lui-même toujours autre à ses yeux, afin qu’elle le lui demande encore, et longtemps. Il y a eu ces autres que j’ai aimés au moment où je te voulais à leur image. Ils avaient tous ton visage et ont glissé sur notre vie à contresens, à contretemps. Sans doute je ne t’aimerais pas si tu avais été tous ces autres à la fois. L’amour se défait autant qu’il ne se fait.