Caroline Doya et Jasmine Schwarz
Conseil Extra-ordinaire
Comme dans une fourmilière, les invités s’agitent autour d’une immense table ovale, destinée à devenir bientôt le théâtre de tous les enjeux. Déjà installé près de l’entrée, le maître de séance orchestre le défilé des arrivants et les invite à apposer leur signature sur une liste de présence. Il assure cette tâche de haute responsabilité avec sérieux et dignité. Devant lui, est déployé un impressionnant plan de table où des rectangles colorés indiquent la place de chaque participant, choisie selon les règles les plus subtiles de la diplomatie locale. Ainsi, le statut de chacun se mesure à la distance qui le sépare du Prince.
Les quelques quarante invités ne s’y trompent d’ailleurs pas, comme en témoigne leur sourire de satisfaction ou leur moue de dépit selon le positionnement annoncé. Aujourd’hui, plus encore que lors des séances précédentes, des carrières entières se jouent sur de simples petits rectangles de couleur : de cette séance extraordinaire, doit en effet découler une réorganisation complète du Conseil du Prince.
Avec l’espoir que leur apparence pourra les propulser vers de hautes fonctions, ils ont revêtu leurs plus beaux atours : costumes-cravate pour les hommes bien sûr, dans les tons les plus austères, parfois soulignés d’une pointe de fantaisie pour les plus audacieux, cravate à pois verts ou pochette atypique. Les quelques femmes admises à ce Conseil, en tailleur pantalon, tentent de se fondre dans le décor… Et quel décor : la salle, somptueuse, éblouit le nouvel arrivant : les moulures finement sculptées, les énormes lustres, la table d’époque en bois d’ébène, les sièges recouverts de velours frappé, le parquet en point de Hongrie, les gigantesques tableaux de grands hommes au visage sévère, la hauteur de plafond démesurée, tout concourt à la solennité du lieu. Une immense verrière dont les vitraux illustrent la grandeur de la Principauté, projette un halo de lumière sur le fauteuil princier.
Une voix de soprano d'opérette, dominant les conversations feutrées, attire d'un coup l'attention de tous, avec un vibrant : « salut Gérard, comment vas-tu ? ». Toutes les têtes se tournent vers l’apparition virevoltante dont la blondeur oxygénée, la robe moulant des courbes généreuses, le décolleté plongeant et les talons aiguilles suscitent des réactions émoustillées ou gênées. Manifestement, le dit Gérard, tout à son rôle de maître de séance, n’apprécie ni d’être interpellé aussi familièrement, ni de voir son assistante dans une tenue aussi peu adaptée à la circonstance. En quelques mots bien sentis, il le fait savoir à Madame Miche-Brise.
Il n’a pourtant pas le temps de s’épancher : un huissier vient l’informer de l’arrivée du Prince. Le sourcil froncé, il se lève, donne trois coups de marteau impératifs sur la table ; aussitôt, dans une agitation fébrile, chacun rejoint sa place et se met au garde à vous. Dans un silence religieux, le Prince, entouré de sa garde rapprochée, effectue une entrée solennelle. Malgré sa petite taille, il domine l’assemblée de son regard hautain, traverse lentement la salle, accordant à quelques-uns le privilège de leur serrer la main. Parvenu à la place d’honneur, face au maître de séance, il se pose cérémonieusement sur son fauteuil avant d’autoriser tout le monde à s’asseoir, provoquant ainsi un brouhaha de chaises remuées.
Une fois le calme revenu, d’une voix sèche et posée, le Prince s’adresse au maître de séance : « Veuillez, je vous prie, nous exposer l’ordre du jour. » L’échine courbée et le ton bredouillant, Gérard prend la parole : « Je vous remercie, Monseigneur, de m’autoriser à ouvrir la séance. La question du jour est à la restructuration dans une nécessité de qualité pour la construction et la simplification à partir d’une expertise basée sur la modernisation de la Principauté ». Du côté du Prince, on opine du chef ; un peu plus loin, quelques toux discrètes se font entendre. Et déjà, un vent d’assoupissement souffle sur les figurants de service.
« Je vous remercie de cette brillante présentation : elle fait suite à la remarquable étude de notre équipe d’experts qui, selon mes instructions, travaille sur le sujet depuis plusieurs mois et je profite de l’occasion, » ajoute le Prince en se tournant vers le personnage essentiel situé à sa droite, conseiller favori du moment, choisi pour ses talents de beau parleur et de souffleur, « pour remercier le duc de Cotcadet de toute la diligence qu’il a déployée au service de la belle cause de notre Principauté. Mais je ne voudrais pas offenser sa modestie en développant toute la complexité du travail accompli. Plutôt que de lui demander de lire les dix-huit paragraphes de préambule à l’énoncé de nos actions prioritaires, je me contenterai de dessiner à grands traits les leviers stratégiques sur lesquels se sont appuyés nos vaillants seconds. Tout d’abord, c’est avec un esprit innovant qu’il fallait se lancer dans l’aventure de la fabrique à simplifier, pour le salut de notre Principauté et de nos valeureux sujets, afin de restaurer la confiance tout en visant à magnifier la qualité des services rendus aux usagers et sans oublier la nécessaire modernisation de nos outils de communication. Les ateliers collaboratifs que j’ai décidé de mettre en place dans chacun de nos ministères, structurés autour des moments de vie clefs du citoyen, collectivités et administrations travaillant ensemble à l’élaboration de nouvelles solutions, ont œuvré sans relâche pour que notre projet s’épanouisse dans une saine compétitivité, tandis que nos éminents spécialistes s’assuraient de la bonne visibilité juridique de nos futures réformes. Les méthodes élues sont simples, opérationnelles, ouvertes et réactives…. »
Le Prince se laisse emporter dans un discours dont le vide endort une bonne partie de l’assemblée habituée à de telles envolées. Cependant, tout a une fin, brusquement les mots semblent lui manquer et il se tourne abruptement vers son conseiller qui sursaute ; il le somme de donner les conclusions des ateliers collaboratifs. Alors que le conseiller ouvre déjà la bouche, le Prince l’arrête d’un geste décidé : « Auparavant, l’un d’entre vous aurait-il des questions ? » Le chef de cabinet du ministre de l’intérieur, peau grasse et cheveu rare, lève mollement la main : « J’espère que vous voudrez bien, Monseigneur, excuser mon intervention, je parle au nom de mon ministre de tutelle appelé d’urgence en province pour les évènements que vous savez. Nous sommes honorés d’avoir participé activement à l’élan des ateliers collaboratifs et de vous entendre louer de cette admirable façon le travail effectué. A quelle échéance prévoyez-vous que les transformations envisagées puissent passer de l'état de réflexions et d'indications à l'état de réalisations ? » Un sourire servile ponctue la question manifestement prévue en haut lieu.
« Cher Monsieur euh..., Lombrique, », poursuit le Prince, grâce à l'aide de son souffleur qui lui a discrètement glissé le nom de son interlocuteur, « c'est une question tout à fait pertinente et essentielle, qui doit tenir compte de l'histoire de notre Principauté, de la période complexe que nous traversons, mais aussi des différentes personnes impliquées tant dans nos ministères et dans nos belles institutions que dans notre pays tout entier. De plus, nous aurons à envisager de nombreux déplacements de services et changements d'affectation des édifices dans lesquels s'élaborent les actions de notre gouvernement ». Tandis que Monsieur Lombrique arbore un sourire extatique, témoin d'une approbation sans limites face à cette absence de réponse, un début d'agitation se manifeste dans l'assemblée par quelques froncements de sourcils et grincements de chaises.
Une petite main émerge de la masse silencieuse, aussitôt saluée d'un geste condescendant du Prince : « Je vous en prie, chère Madame Constant, votre intervention est toujours porteuse de réflexions pleines de sens et vous savez la place centrale que nous accordons à la mission que nous vous avons confiée pour le déploiement de nos actions en faveur des personnes handicapées que vous êtes la mieux à même de représenter compte tenu de votre situation. » Florise Constant entend bien les râclements de gorge gênés qui suivent cette allusion peu subtile à sa cécité, mais elle affiche un sourire imperturbable avant de prendre la parole : « Monseigneur, je vous suis très reconnaissante de l'intérêt que vous portez à cette mission. Et je me permettrai de demander comment vous envisagez d'intégrer l'échéancier en question dans le cadre de l'action en faveur des personnes handicapées ».
Le Prince aussitôt s'engage dans une harangue qui perd bientôt tout lien avec la question posée et qui l'emporte bien loin des préoccupations de son interlocutrice. Sa voix enfle pour dévoiler peu à peu les perspectives inquiétantes qui attendent la plupart des personnes présentes : restructurations sauvages, déclassements en masse au mépris des compétences, déménagements forcés équivalant à des pertes d'emploi, suppression de postes productifs au profit de quelques courtisans....
Noyé dans sa logorrhée, il appelle son souffleur du regard, sans prendre conscience de la contestation qui gagne les rangs : les regards s’égarent du côté des montres, certains tripotent spasmodiquement leur téléphone ou font crisser le plastique des petites bouteilles d'eau, des murmures s'élèvent qui deviennent bientôt des grondements. Avant que le conseiller ait eu le temps d'intervenir, une voix puissante s'élève : « Mais ce n'est pas du tout ce qui a été dit dans les ateliers collaboratifs que nous étions chargées d'animer comme experts ! » Tous les regards, à la fois admiratifs et affolés, se tournent vers l'inconsciente capable d'une telle effronterie.
Quant au syndicaliste vedette de la Principauté, se sentant brusquement menacé, il perd son sang-froid et abandonne brutalement le style des relations ambigües qu'il entretient d'habitude avec le pouvoir et qui lui assurent depuis des années un statut immuable sous une apparence d'engagement : « Ça commence à bien faire, tous ces discours à la noix, vous nous aviez promis une place revalorisée pour notre syndicat et voilà ce que vous nous racontez : on n'existe plus dans votre bla-bla... » Sa voix est bientôt couverte par une explosion d'interventions parmi lesquelles il est bien difficile de reconnaître les défenseurs du Prince de ses opposants.
La moitié de la salle est bientôt debout, gagnée par un vent de révolte ; le Prince perdant d'un coup toute sa superbe, se réfugie derrière le mur inconsistant de ses défenseurs qui face à la vague de violence qui monte, tentent une sortie. Ils n'en ont pas le temps : bousculant la piètre protection, des mains se saisissent du Prince et le projettent contre la verrière grandiose qui cède sous la poussée furieuse, dans un fracas de verre cassé. Dans une envolée qui n'a rien de majestueux, le Prince disparaît aux yeux sidérés de ses sujets brutalement réduits au silence, tandis qu'apparaît au-delà de la vitre brisée l'imposante cathédrale Notre-Dame de Gloire.
Avec l’espoir que leur apparence pourra les propulser vers de hautes fonctions, ils ont revêtu leurs plus beaux atours : costumes-cravate pour les hommes bien sûr, dans les tons les plus austères, parfois soulignés d’une pointe de fantaisie pour les plus audacieux, cravate à pois verts ou pochette atypique. Les quelques femmes admises à ce Conseil, en tailleur pantalon, tentent de se fondre dans le décor… Et quel décor : la salle, somptueuse, éblouit le nouvel arrivant : les moulures finement sculptées, les énormes lustres, la table d’époque en bois d’ébène, les sièges recouverts de velours frappé, le parquet en point de Hongrie, les gigantesques tableaux de grands hommes au visage sévère, la hauteur de plafond démesurée, tout concourt à la solennité du lieu. Une immense verrière dont les vitraux illustrent la grandeur de la Principauté, projette un halo de lumière sur le fauteuil princier.
Une voix de soprano d'opérette, dominant les conversations feutrées, attire d'un coup l'attention de tous, avec un vibrant : « salut Gérard, comment vas-tu ? ». Toutes les têtes se tournent vers l’apparition virevoltante dont la blondeur oxygénée, la robe moulant des courbes généreuses, le décolleté plongeant et les talons aiguilles suscitent des réactions émoustillées ou gênées. Manifestement, le dit Gérard, tout à son rôle de maître de séance, n’apprécie ni d’être interpellé aussi familièrement, ni de voir son assistante dans une tenue aussi peu adaptée à la circonstance. En quelques mots bien sentis, il le fait savoir à Madame Miche-Brise.
Il n’a pourtant pas le temps de s’épancher : un huissier vient l’informer de l’arrivée du Prince. Le sourcil froncé, il se lève, donne trois coups de marteau impératifs sur la table ; aussitôt, dans une agitation fébrile, chacun rejoint sa place et se met au garde à vous. Dans un silence religieux, le Prince, entouré de sa garde rapprochée, effectue une entrée solennelle. Malgré sa petite taille, il domine l’assemblée de son regard hautain, traverse lentement la salle, accordant à quelques-uns le privilège de leur serrer la main. Parvenu à la place d’honneur, face au maître de séance, il se pose cérémonieusement sur son fauteuil avant d’autoriser tout le monde à s’asseoir, provoquant ainsi un brouhaha de chaises remuées.
Une fois le calme revenu, d’une voix sèche et posée, le Prince s’adresse au maître de séance : « Veuillez, je vous prie, nous exposer l’ordre du jour. » L’échine courbée et le ton bredouillant, Gérard prend la parole : « Je vous remercie, Monseigneur, de m’autoriser à ouvrir la séance. La question du jour est à la restructuration dans une nécessité de qualité pour la construction et la simplification à partir d’une expertise basée sur la modernisation de la Principauté ». Du côté du Prince, on opine du chef ; un peu plus loin, quelques toux discrètes se font entendre. Et déjà, un vent d’assoupissement souffle sur les figurants de service.
« Je vous remercie de cette brillante présentation : elle fait suite à la remarquable étude de notre équipe d’experts qui, selon mes instructions, travaille sur le sujet depuis plusieurs mois et je profite de l’occasion, » ajoute le Prince en se tournant vers le personnage essentiel situé à sa droite, conseiller favori du moment, choisi pour ses talents de beau parleur et de souffleur, « pour remercier le duc de Cotcadet de toute la diligence qu’il a déployée au service de la belle cause de notre Principauté. Mais je ne voudrais pas offenser sa modestie en développant toute la complexité du travail accompli. Plutôt que de lui demander de lire les dix-huit paragraphes de préambule à l’énoncé de nos actions prioritaires, je me contenterai de dessiner à grands traits les leviers stratégiques sur lesquels se sont appuyés nos vaillants seconds. Tout d’abord, c’est avec un esprit innovant qu’il fallait se lancer dans l’aventure de la fabrique à simplifier, pour le salut de notre Principauté et de nos valeureux sujets, afin de restaurer la confiance tout en visant à magnifier la qualité des services rendus aux usagers et sans oublier la nécessaire modernisation de nos outils de communication. Les ateliers collaboratifs que j’ai décidé de mettre en place dans chacun de nos ministères, structurés autour des moments de vie clefs du citoyen, collectivités et administrations travaillant ensemble à l’élaboration de nouvelles solutions, ont œuvré sans relâche pour que notre projet s’épanouisse dans une saine compétitivité, tandis que nos éminents spécialistes s’assuraient de la bonne visibilité juridique de nos futures réformes. Les méthodes élues sont simples, opérationnelles, ouvertes et réactives…. »
Le Prince se laisse emporter dans un discours dont le vide endort une bonne partie de l’assemblée habituée à de telles envolées. Cependant, tout a une fin, brusquement les mots semblent lui manquer et il se tourne abruptement vers son conseiller qui sursaute ; il le somme de donner les conclusions des ateliers collaboratifs. Alors que le conseiller ouvre déjà la bouche, le Prince l’arrête d’un geste décidé : « Auparavant, l’un d’entre vous aurait-il des questions ? » Le chef de cabinet du ministre de l’intérieur, peau grasse et cheveu rare, lève mollement la main : « J’espère que vous voudrez bien, Monseigneur, excuser mon intervention, je parle au nom de mon ministre de tutelle appelé d’urgence en province pour les évènements que vous savez. Nous sommes honorés d’avoir participé activement à l’élan des ateliers collaboratifs et de vous entendre louer de cette admirable façon le travail effectué. A quelle échéance prévoyez-vous que les transformations envisagées puissent passer de l'état de réflexions et d'indications à l'état de réalisations ? » Un sourire servile ponctue la question manifestement prévue en haut lieu.
« Cher Monsieur euh..., Lombrique, », poursuit le Prince, grâce à l'aide de son souffleur qui lui a discrètement glissé le nom de son interlocuteur, « c'est une question tout à fait pertinente et essentielle, qui doit tenir compte de l'histoire de notre Principauté, de la période complexe que nous traversons, mais aussi des différentes personnes impliquées tant dans nos ministères et dans nos belles institutions que dans notre pays tout entier. De plus, nous aurons à envisager de nombreux déplacements de services et changements d'affectation des édifices dans lesquels s'élaborent les actions de notre gouvernement ». Tandis que Monsieur Lombrique arbore un sourire extatique, témoin d'une approbation sans limites face à cette absence de réponse, un début d'agitation se manifeste dans l'assemblée par quelques froncements de sourcils et grincements de chaises.
Une petite main émerge de la masse silencieuse, aussitôt saluée d'un geste condescendant du Prince : « Je vous en prie, chère Madame Constant, votre intervention est toujours porteuse de réflexions pleines de sens et vous savez la place centrale que nous accordons à la mission que nous vous avons confiée pour le déploiement de nos actions en faveur des personnes handicapées que vous êtes la mieux à même de représenter compte tenu de votre situation. » Florise Constant entend bien les râclements de gorge gênés qui suivent cette allusion peu subtile à sa cécité, mais elle affiche un sourire imperturbable avant de prendre la parole : « Monseigneur, je vous suis très reconnaissante de l'intérêt que vous portez à cette mission. Et je me permettrai de demander comment vous envisagez d'intégrer l'échéancier en question dans le cadre de l'action en faveur des personnes handicapées ».
Le Prince aussitôt s'engage dans une harangue qui perd bientôt tout lien avec la question posée et qui l'emporte bien loin des préoccupations de son interlocutrice. Sa voix enfle pour dévoiler peu à peu les perspectives inquiétantes qui attendent la plupart des personnes présentes : restructurations sauvages, déclassements en masse au mépris des compétences, déménagements forcés équivalant à des pertes d'emploi, suppression de postes productifs au profit de quelques courtisans....
Noyé dans sa logorrhée, il appelle son souffleur du regard, sans prendre conscience de la contestation qui gagne les rangs : les regards s’égarent du côté des montres, certains tripotent spasmodiquement leur téléphone ou font crisser le plastique des petites bouteilles d'eau, des murmures s'élèvent qui deviennent bientôt des grondements. Avant que le conseiller ait eu le temps d'intervenir, une voix puissante s'élève : « Mais ce n'est pas du tout ce qui a été dit dans les ateliers collaboratifs que nous étions chargées d'animer comme experts ! » Tous les regards, à la fois admiratifs et affolés, se tournent vers l'inconsciente capable d'une telle effronterie.
Quant au syndicaliste vedette de la Principauté, se sentant brusquement menacé, il perd son sang-froid et abandonne brutalement le style des relations ambigües qu'il entretient d'habitude avec le pouvoir et qui lui assurent depuis des années un statut immuable sous une apparence d'engagement : « Ça commence à bien faire, tous ces discours à la noix, vous nous aviez promis une place revalorisée pour notre syndicat et voilà ce que vous nous racontez : on n'existe plus dans votre bla-bla... » Sa voix est bientôt couverte par une explosion d'interventions parmi lesquelles il est bien difficile de reconnaître les défenseurs du Prince de ses opposants.
La moitié de la salle est bientôt debout, gagnée par un vent de révolte ; le Prince perdant d'un coup toute sa superbe, se réfugie derrière le mur inconsistant de ses défenseurs qui face à la vague de violence qui monte, tentent une sortie. Ils n'en ont pas le temps : bousculant la piètre protection, des mains se saisissent du Prince et le projettent contre la verrière grandiose qui cède sous la poussée furieuse, dans un fracas de verre cassé. Dans une envolée qui n'a rien de majestueux, le Prince disparaît aux yeux sidérés de ses sujets brutalement réduits au silence, tandis qu'apparaît au-delà de la vitre brisée l'imposante cathédrale Notre-Dame de Gloire.