Jezabel Massy
C’est ma vague !
Du liquide bleu s’étire devant et tout autour de moi. Je viens de pénétrer un autre univers : le royaume aquatique si proche et familier, étrange et lointain en même temps. Le liquide a glissé sur mon corps et pénétré mes oreilles. Loin d’un quotidien gris, je suis euphorique. Je voyage dans l’univers sous-marin.
J’avance dans le fluide bleu saphir et je traverse des eaux virant au turquoise. Une vague pèse sur la surface des flots. En résonnant comme un roulement de tambour, un tourbillon de mousse blanche passe au-dessus de moi. Ce dernier perd de son intensité en s’éloignant, je change alors de direction et j’entreprends mon ascension. Cinq secondes me paraissent être des heures, j’évolue en souplesse. L’eau vibre comme les notes d’un piano. Je percute la surface. Je change d’élément.
L’océan rugit. J’inspire un bol d’air, les yeux grands ouverts sur le ciel. Le soleil miroite sur les flots et m’éblouit quelques instants. Je plisse les paupières en retombant à plat sur ma planche. Mes oreilles sont plus légères ; le grondement des vagues, plus retentissant. Je ne perds pas de temps et je rame vers le large pour atteindre le pic où je pourrai me reposer. Encore un rouleau, je fais un autre canard pour l’éviter, c'est-à-dire que je plonge dessous pour passer plus facilement derrière. Toujours le même écho sourd, étouffé par les masses liquides, se propage sous l’eau et s’éloigne en diminuant d’intensité. Un coup de reins, je remonte comme un bouchon et j’arrive à la surface. J’ai réussi mon passage sous-marin. Je rame encore, ça y est ! J’y suis ! J’ai atteint le pic, le lieu où les déferlantes se lèvent et commencent à dérouler, l’endroit idéal pour les prendre et les surfer sur tout leur long.
La série est passée, je vais pouvoir me reposer en attendant l’autre. J’ai mis une dizaine de minutes pour arriver. Il est huit heures douze. J’observe, autour de moi, qu’il n’y a pas un surfeur. Je suis toute seule sur la baie vaste et dégagée. Le soleil s’étale comme une flaque sur la surface lisse de l’océan. Le relief accidenté du rivage se dessine sur le rivage vaporeux. Les falaises déchirées plongent dans l’eau tout le long de la côte. Au sud, elles s’évanouissent dans les brumes blanches et diaphanes de ce matin d’été. Tiens ! Un goéland vole à côté de moi ! Il décrit des cercles concentriques et pique tout à coup droit dans la flotte. Le voilà qui en sort bredouille ! Cela fait un moment que je contemple le paysage. L’oiseau disparait derrière la montagne d’eau qui vient de se dresser sur mon horizon azur. Voilà la série !
J’avance, l’onde ne me prend pas. Encore un petit effort ! Je me retourne, je me positionne bien à l’intérieur. Elle grossit en roulant. Encore deux coups de rame, encore un ! Elle s’étire à droite et à gauche. D’un mouvement de tête nerveux, je regarde de chaque côté : elle ouvre à gauche, je la suis. Je m’élance, elle m’emporte. Je suis à son sommet. Là, je suis en haut d’un mur d’eau, un trou énorme s’ouvre sous moi. Ma manœuvre doit être exécutée très rapidement. Je ne pense pas au déroulement de l’opération, c’est mon organisme qui réfléchit : mes muscles se tendent, je ne sens pas de douleur. En même temps, je n’ai pas le temps de prendre conscience de mon corps. Je saute et je suis debout sur le mur bleu. C’est allé très vite. Le mouvement s’accélère. Ivresse ! Je descends. Je plie les genoux, j’écarte les bras, je tourne les épaules vers l’intérieur du rouleau ; mes hanches, ma taille et mes jambes suivent le mouvement avec ma planche. Je monte, je fais un virage sec et je descends successivement sur l’onde, plusieurs fois de suite. Le paysage défile et oscille devant moi. Je perds de la vitesse. La plage se stabilise sous mes yeux. Je m’enfonce un peu et je tombe dans l’eau. Plouf !
Je prends pied sur un rocher visqueux. Au nord, une ville s’esquisse sur un promontoire rocheux en disparaissant derrière son angle. Sous moi, l’eau tiède est transparente, les algues dansent dans les légers remous sous-marins. Un poisson est à l’arrêt, je fais un geste vers lui, il fait un écart brusque et s’immobilise un peu plus loin. Plus loin, quelques rochers affleurent à la surface des flots. Des mouettes demeurent tranquillement dessus. Le soleil inonde de chaleur l’atmosphère. Deux surfeurs entrent dans la baie. La crique de sable jaune, où j’ai posé mes affaires, est bien exposée aux rayons solaires. Mon sac forme un tout petit point sur les rochers blancs, il n’a pas disparu, je suis rassurée. J’aperçois des gens allongés, à présent, non loin de ma serviette. Des promeneurs marchent sur les chemins se frayant un passage à travers le tapis de verdure posé sur l’escarpement des falaises. Ils descendent sur la grève et s’y arrêtent. Quelques parasols s’ouvrent. Je tords le cou : les mouettes se sont envolées et s’ébattent quelques mètres plus loin. Le grondement des rugissantes m’appelle, je tourne le dos à la terre.
Les yeux fixés sur le l’horizon, j’avance en me cambrant un peu. Je donne quelques coups de rame puissants. Un surfeur dévale une pente bleue surmontée d’une crête et glisse sur ma droite. Je touche l’écume blanche et passe par-dessus. Un autre arrive derrière par ma droite, il avance en suivant ma direction. Quand je dépasse la barre, je vois un groupe de trois à quatre personnes approcher également. Je surfe sans difficulté. De nouveau près du bord, j’observe un nouvel arrivage de baigneurs sur la plage. Je ne m’éternise pas en contemplations et je retourne au large.
La barre formée par la série de vagues est facile à dépasser. Il suffit de la contourner par la gauche en suivant un courant. Ensuite, je vire à droite pour rejoindre le pic. Les déferlantes mesurent près de deux mètres et leur pente est devenue plus douce, elles sont plus faciles à prendre. C’est presque la fin du flux. Les conditions naturelles se sont améliorées. Des hommes glissent en puissance. C’est agréable de les voir voltiger sur les ondes. Les vagues en se brisant envoient une gerbe d’eau derrière elles, qui éclabousse l’air et s’achève en fines gouttelettes. La lumière irradie à travers les prismes formés par les perles d’eau. Un rideau, brumeux et jaune-orangé, se lève sur une vague, s’étire perpendiculairement à l’onde depuis sa crête et tombe dans l’océan en éclipsant le paysage derrière, puis s’efface.
Derrière le rideau d’eau, je suis près du pic, je l’atteins en ramant encore un peu. La série est passée. Je m’assieds à califourchon sur mon surf et j’attends la suivante. Une ondine blonde et jolie m’aborde. Elle me sourit et s’assied près de moi. Un homme s’approche avec une grande planche et trois autres, avec des petites planches. La surfeuse s’agenouille sur son surf et s’amuse quelques temps à pagayer. Tout à l’heure, l’endroit était presque désert. Une quinzaine de surfeurs s’ébattent maintenant dans la baie. Vers huit heures, il y avait plus de vagues par séries (à peu près huit vagues) que de surfeurs. Il est huit heures trente, il y a deux surfeurs pour une vague à chaque série. Heureusement, ils ne sont pas tous au pic au même moment ! Cela laisse encore de l’espace et le nombre raisonnable d’un surfeur par vague à chaque série. Les plages du nord et du sud se noircissent de vacanciers. La petite crique se couvre, elle aussi, peu à peu de monde. Des rides se forment à plusieurs mètres de moi sur la mer d’huile. Les ondulations grossissent en se rapprochant. Les surfeurs se positionnent. Une déferlante se lève et casse. Je m’approche. Face à moi, l’ondine se lève. Je vois son dos rond quelques secondes ; puis elle disparait derrière le mur d’eau.
Une autre déferlante se dresse. Cette fois, c’est pour moi. Je me place le plus près de son point le plus haut et j’avance, j’accélère. Je donne un coup sur ma planche pour l’orienter dans la bonne direction et infléchir son nez afin démarrer. Le mouvement est sec et brutal. Je pars. Je lève les bras, je file et ma planche plante son nez dans le creux du rouleau. J’enfourche la vague et je tombe dans ses remous. Je suis culbutée vers l’avant, soulevée par la crête. Ma planche vole, je passe à côté et la retiens de la main par le cordon. Mon surf, emporté par les remous, tire un coup sec et violent sur mon épaule. Je tiens ferme. Je reste quelques temps sous un tourbillon, la main agrippée sur mon cordon pour retenir la planche.
Je reprends de l’air. Plusieurs personnes rament à côté de moi. Une autre déferlante se brise, je passe dessous et remonte aussitôt sur ma planche pour ramer. Je fais une succession de canards. Je passe, ainsi, les lignes successives des rugissantes. Plusieurs surfeurs se lèvent sur les vagues. Il me semble que leur nombre a augmenté. Me voilà derrière la barre. Je n’ai plus qu’à attendre la série suivante.
J’avais raison, nous sommes plus nombreux ici, mais aussi sur la totalité de la baie. Certains sont près du bord, ils reviennent après avoir pris une vague. D’autres entrent dans l’eau pour la première fois de la journée. Dans quelques minutes, le temps pour eux de venir, il y aura encore plus de monde. Il est huit heures quarante. Sur la plage, les gens alignés forment plusieurs rangées, plusieurs couches successives de points et grappes noires, qui obscurcissent le sable. Les cris joyeux des nouveaux venus s’élèvent et résonnent à mes oreilles.
Les vagues arrivent. On dirait un galop de destriers. Un surfeur me jette un regard un peu tendu et part sur la première. Je ne le suis pas, je reste assise. Soulevée par le passage d’une onde, je retiens ma planche par l’avant avec la main pour éviter d’être emportée. La vague projette une gerbe d’eau vers l’arrière. Elle ressemble à la crinière ébouriffée d’un cheval blanc. Une pluie de perles grises d’eau de mer se déverse sur moi et le souffle de la vague balaie mon visage.
Nous sommes trois à nous précipiter sur la suivante. Non, je ne raterai pas celle-là ! Je me lève. Je brûle la priorité. Je passe devant une surfeuse. Je chevauche la longue vague et j’en sors. Je remonte au pic. Plusieurs m’accompagnent à l’assaut des rugissantes. Trois d’entre eux partent en même temps. Les surfeurs se dressent sur leurs montures bleues. C’est une véritable cavalcade. Ils se contournent, se bousculent. Le soleil tombe sur les chevelures décolorées, rougit les pommettes, les épaules découvertes et les bras nus. L’endroit est saturé ! Les gens se disputent. L’ambiance est tendue. Les cavaliers se bousculent. Ils grillent les priorités. Les plus forts intimident les autres. Les jeunes sont plus téméraires, moins conscients. Les regards sont rouges de colère. En franchissant la barre, je vois un brun affolé, accroché à la crinière blanche de sa folle monture, se diriger vers moi à toute allure. Sa planche siffle. Il va me scalper avec son surf! Je l’évite de quelques centimètres. J’arrive au pic en conservant mon scalp.
Nous attendons la prochaine série. Des groupes de surfeurs forment plusieurs bandes rivales de Peaux-Rouges sur l’eau. Certains sont isolés. Plusieurs sont assis ; d’autres, allongés le temps d’un court répit. Des ondulations se dessinent enfin sur la surface des eaux. Des oiseaux volent à l’horizon. Les déferlantes se dressent comme des chevaux furieux.
Tous rament vers le large. Je suis bien placée. Je me bats. Je renverse un jeune homme. Je pars. Je chevauche le destrier. Je fonce sur un garçon. Je l’évite. Je tourne. Je tombe. Une surfeuse passe à gauche, deux à droite. Je plonge sous la mousse. Je tiens ma planche. Je remonte dessus. Je rame. Les rouleaux se succèdent. En deux minutes, je suis sur le pic. Nous sommes quatre pour une vague. Je rame. Une brune me percute. Elle se lève. Je la pousse. Elle tombe. Je glisse devant elle. Une personne hurle : «-priorité ! ». Le surf est agressif, nerveux. J’écourte ma glisse. Je remonte au pic.
Nous sommes trois à vouloir la vague suivante. Il est huit heures cinquante-huit minutes. Une ondine me bouscule. Je tiens bon. Un blond musclé tente une intimidation. Il fait mine de partir. Je pars.
En une demi-seconde, je suis aspirée par le souffle puissant de l’onde et je suis debout. Mon concurrent, lui, s’arrête subitement : «-Ah ! qu’est-ce que c’est ? -C’est ça dégage ! C’est ma vague !», je réponds en lui passant devant. Soudain, je décolle, je vole ! Ah !
Une masse bleutée et ronde soulève ma planche et je tombe à la renverse de l’autre côté de la vague, près du blond qui s’exclame : « c’est un dauphin ! ». Je tourne la tête et, ahuris, nous regardons le dauphin surfer sa vague en faisant des bonds joyeux.
L’océan rugit. J’inspire un bol d’air, les yeux grands ouverts sur le ciel. Le soleil miroite sur les flots et m’éblouit quelques instants. Je plisse les paupières en retombant à plat sur ma planche. Mes oreilles sont plus légères ; le grondement des vagues, plus retentissant. Je ne perds pas de temps et je rame vers le large pour atteindre le pic où je pourrai me reposer. Encore un rouleau, je fais un autre canard pour l’éviter, c'est-à-dire que je plonge dessous pour passer plus facilement derrière. Toujours le même écho sourd, étouffé par les masses liquides, se propage sous l’eau et s’éloigne en diminuant d’intensité. Un coup de reins, je remonte comme un bouchon et j’arrive à la surface. J’ai réussi mon passage sous-marin. Je rame encore, ça y est ! J’y suis ! J’ai atteint le pic, le lieu où les déferlantes se lèvent et commencent à dérouler, l’endroit idéal pour les prendre et les surfer sur tout leur long.
La série est passée, je vais pouvoir me reposer en attendant l’autre. J’ai mis une dizaine de minutes pour arriver. Il est huit heures douze. J’observe, autour de moi, qu’il n’y a pas un surfeur. Je suis toute seule sur la baie vaste et dégagée. Le soleil s’étale comme une flaque sur la surface lisse de l’océan. Le relief accidenté du rivage se dessine sur le rivage vaporeux. Les falaises déchirées plongent dans l’eau tout le long de la côte. Au sud, elles s’évanouissent dans les brumes blanches et diaphanes de ce matin d’été. Tiens ! Un goéland vole à côté de moi ! Il décrit des cercles concentriques et pique tout à coup droit dans la flotte. Le voilà qui en sort bredouille ! Cela fait un moment que je contemple le paysage. L’oiseau disparait derrière la montagne d’eau qui vient de se dresser sur mon horizon azur. Voilà la série !
J’avance, l’onde ne me prend pas. Encore un petit effort ! Je me retourne, je me positionne bien à l’intérieur. Elle grossit en roulant. Encore deux coups de rame, encore un ! Elle s’étire à droite et à gauche. D’un mouvement de tête nerveux, je regarde de chaque côté : elle ouvre à gauche, je la suis. Je m’élance, elle m’emporte. Je suis à son sommet. Là, je suis en haut d’un mur d’eau, un trou énorme s’ouvre sous moi. Ma manœuvre doit être exécutée très rapidement. Je ne pense pas au déroulement de l’opération, c’est mon organisme qui réfléchit : mes muscles se tendent, je ne sens pas de douleur. En même temps, je n’ai pas le temps de prendre conscience de mon corps. Je saute et je suis debout sur le mur bleu. C’est allé très vite. Le mouvement s’accélère. Ivresse ! Je descends. Je plie les genoux, j’écarte les bras, je tourne les épaules vers l’intérieur du rouleau ; mes hanches, ma taille et mes jambes suivent le mouvement avec ma planche. Je monte, je fais un virage sec et je descends successivement sur l’onde, plusieurs fois de suite. Le paysage défile et oscille devant moi. Je perds de la vitesse. La plage se stabilise sous mes yeux. Je m’enfonce un peu et je tombe dans l’eau. Plouf !
Je prends pied sur un rocher visqueux. Au nord, une ville s’esquisse sur un promontoire rocheux en disparaissant derrière son angle. Sous moi, l’eau tiède est transparente, les algues dansent dans les légers remous sous-marins. Un poisson est à l’arrêt, je fais un geste vers lui, il fait un écart brusque et s’immobilise un peu plus loin. Plus loin, quelques rochers affleurent à la surface des flots. Des mouettes demeurent tranquillement dessus. Le soleil inonde de chaleur l’atmosphère. Deux surfeurs entrent dans la baie. La crique de sable jaune, où j’ai posé mes affaires, est bien exposée aux rayons solaires. Mon sac forme un tout petit point sur les rochers blancs, il n’a pas disparu, je suis rassurée. J’aperçois des gens allongés, à présent, non loin de ma serviette. Des promeneurs marchent sur les chemins se frayant un passage à travers le tapis de verdure posé sur l’escarpement des falaises. Ils descendent sur la grève et s’y arrêtent. Quelques parasols s’ouvrent. Je tords le cou : les mouettes se sont envolées et s’ébattent quelques mètres plus loin. Le grondement des rugissantes m’appelle, je tourne le dos à la terre.
Les yeux fixés sur le l’horizon, j’avance en me cambrant un peu. Je donne quelques coups de rame puissants. Un surfeur dévale une pente bleue surmontée d’une crête et glisse sur ma droite. Je touche l’écume blanche et passe par-dessus. Un autre arrive derrière par ma droite, il avance en suivant ma direction. Quand je dépasse la barre, je vois un groupe de trois à quatre personnes approcher également. Je surfe sans difficulté. De nouveau près du bord, j’observe un nouvel arrivage de baigneurs sur la plage. Je ne m’éternise pas en contemplations et je retourne au large.
La barre formée par la série de vagues est facile à dépasser. Il suffit de la contourner par la gauche en suivant un courant. Ensuite, je vire à droite pour rejoindre le pic. Les déferlantes mesurent près de deux mètres et leur pente est devenue plus douce, elles sont plus faciles à prendre. C’est presque la fin du flux. Les conditions naturelles se sont améliorées. Des hommes glissent en puissance. C’est agréable de les voir voltiger sur les ondes. Les vagues en se brisant envoient une gerbe d’eau derrière elles, qui éclabousse l’air et s’achève en fines gouttelettes. La lumière irradie à travers les prismes formés par les perles d’eau. Un rideau, brumeux et jaune-orangé, se lève sur une vague, s’étire perpendiculairement à l’onde depuis sa crête et tombe dans l’océan en éclipsant le paysage derrière, puis s’efface.
Derrière le rideau d’eau, je suis près du pic, je l’atteins en ramant encore un peu. La série est passée. Je m’assieds à califourchon sur mon surf et j’attends la suivante. Une ondine blonde et jolie m’aborde. Elle me sourit et s’assied près de moi. Un homme s’approche avec une grande planche et trois autres, avec des petites planches. La surfeuse s’agenouille sur son surf et s’amuse quelques temps à pagayer. Tout à l’heure, l’endroit était presque désert. Une quinzaine de surfeurs s’ébattent maintenant dans la baie. Vers huit heures, il y avait plus de vagues par séries (à peu près huit vagues) que de surfeurs. Il est huit heures trente, il y a deux surfeurs pour une vague à chaque série. Heureusement, ils ne sont pas tous au pic au même moment ! Cela laisse encore de l’espace et le nombre raisonnable d’un surfeur par vague à chaque série. Les plages du nord et du sud se noircissent de vacanciers. La petite crique se couvre, elle aussi, peu à peu de monde. Des rides se forment à plusieurs mètres de moi sur la mer d’huile. Les ondulations grossissent en se rapprochant. Les surfeurs se positionnent. Une déferlante se lève et casse. Je m’approche. Face à moi, l’ondine se lève. Je vois son dos rond quelques secondes ; puis elle disparait derrière le mur d’eau.
Une autre déferlante se dresse. Cette fois, c’est pour moi. Je me place le plus près de son point le plus haut et j’avance, j’accélère. Je donne un coup sur ma planche pour l’orienter dans la bonne direction et infléchir son nez afin démarrer. Le mouvement est sec et brutal. Je pars. Je lève les bras, je file et ma planche plante son nez dans le creux du rouleau. J’enfourche la vague et je tombe dans ses remous. Je suis culbutée vers l’avant, soulevée par la crête. Ma planche vole, je passe à côté et la retiens de la main par le cordon. Mon surf, emporté par les remous, tire un coup sec et violent sur mon épaule. Je tiens ferme. Je reste quelques temps sous un tourbillon, la main agrippée sur mon cordon pour retenir la planche.
Je reprends de l’air. Plusieurs personnes rament à côté de moi. Une autre déferlante se brise, je passe dessous et remonte aussitôt sur ma planche pour ramer. Je fais une succession de canards. Je passe, ainsi, les lignes successives des rugissantes. Plusieurs surfeurs se lèvent sur les vagues. Il me semble que leur nombre a augmenté. Me voilà derrière la barre. Je n’ai plus qu’à attendre la série suivante.
J’avais raison, nous sommes plus nombreux ici, mais aussi sur la totalité de la baie. Certains sont près du bord, ils reviennent après avoir pris une vague. D’autres entrent dans l’eau pour la première fois de la journée. Dans quelques minutes, le temps pour eux de venir, il y aura encore plus de monde. Il est huit heures quarante. Sur la plage, les gens alignés forment plusieurs rangées, plusieurs couches successives de points et grappes noires, qui obscurcissent le sable. Les cris joyeux des nouveaux venus s’élèvent et résonnent à mes oreilles.
Les vagues arrivent. On dirait un galop de destriers. Un surfeur me jette un regard un peu tendu et part sur la première. Je ne le suis pas, je reste assise. Soulevée par le passage d’une onde, je retiens ma planche par l’avant avec la main pour éviter d’être emportée. La vague projette une gerbe d’eau vers l’arrière. Elle ressemble à la crinière ébouriffée d’un cheval blanc. Une pluie de perles grises d’eau de mer se déverse sur moi et le souffle de la vague balaie mon visage.
Nous sommes trois à nous précipiter sur la suivante. Non, je ne raterai pas celle-là ! Je me lève. Je brûle la priorité. Je passe devant une surfeuse. Je chevauche la longue vague et j’en sors. Je remonte au pic. Plusieurs m’accompagnent à l’assaut des rugissantes. Trois d’entre eux partent en même temps. Les surfeurs se dressent sur leurs montures bleues. C’est une véritable cavalcade. Ils se contournent, se bousculent. Le soleil tombe sur les chevelures décolorées, rougit les pommettes, les épaules découvertes et les bras nus. L’endroit est saturé ! Les gens se disputent. L’ambiance est tendue. Les cavaliers se bousculent. Ils grillent les priorités. Les plus forts intimident les autres. Les jeunes sont plus téméraires, moins conscients. Les regards sont rouges de colère. En franchissant la barre, je vois un brun affolé, accroché à la crinière blanche de sa folle monture, se diriger vers moi à toute allure. Sa planche siffle. Il va me scalper avec son surf! Je l’évite de quelques centimètres. J’arrive au pic en conservant mon scalp.
Nous attendons la prochaine série. Des groupes de surfeurs forment plusieurs bandes rivales de Peaux-Rouges sur l’eau. Certains sont isolés. Plusieurs sont assis ; d’autres, allongés le temps d’un court répit. Des ondulations se dessinent enfin sur la surface des eaux. Des oiseaux volent à l’horizon. Les déferlantes se dressent comme des chevaux furieux.
Tous rament vers le large. Je suis bien placée. Je me bats. Je renverse un jeune homme. Je pars. Je chevauche le destrier. Je fonce sur un garçon. Je l’évite. Je tourne. Je tombe. Une surfeuse passe à gauche, deux à droite. Je plonge sous la mousse. Je tiens ma planche. Je remonte dessus. Je rame. Les rouleaux se succèdent. En deux minutes, je suis sur le pic. Nous sommes quatre pour une vague. Je rame. Une brune me percute. Elle se lève. Je la pousse. Elle tombe. Je glisse devant elle. Une personne hurle : «-priorité ! ». Le surf est agressif, nerveux. J’écourte ma glisse. Je remonte au pic.
Nous sommes trois à vouloir la vague suivante. Il est huit heures cinquante-huit minutes. Une ondine me bouscule. Je tiens bon. Un blond musclé tente une intimidation. Il fait mine de partir. Je pars.
En une demi-seconde, je suis aspirée par le souffle puissant de l’onde et je suis debout. Mon concurrent, lui, s’arrête subitement : «-Ah ! qu’est-ce que c’est ? -C’est ça dégage ! C’est ma vague !», je réponds en lui passant devant. Soudain, je décolle, je vole ! Ah !
Une masse bleutée et ronde soulève ma planche et je tombe à la renverse de l’autre côté de la vague, près du blond qui s’exclame : « c’est un dauphin ! ». Je tourne la tête et, ahuris, nous regardons le dauphin surfer sa vague en faisant des bonds joyeux.