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Semaine du 14 décembre

14/12/2015

8 Commentaires

 

Fabrice Marzuolo

Le lit de ma plume


Aux Serres de la lune, je l’avais eu dans la lune, le type n’aimait pas du tout ce que j’écrivais, mais il ne le disait pas franchement, il m’affirmait que sa boutique était remplie jusqu’en 2063.
-Même sur vos rubans, une toute petite bande de papier pour un de mes poèmes, dans les chutes ! Et j’avais insisté lourdement :
-On va se serrer, du serre-livres, il faut être livre, aller !
Mais il n’avait rien voulu savoir, impossible, plus de place. J’avais fini par piger, celui-là ne se serait même pas torché le derrière avec mes textes mis en rouleaux, la peur de se salir, sans doute… Remarquez, j’avais eu quelque succès auprès de Louis Dupot, il m’aurait volontiers publié s’il n’avait (et des navets il avait dû en éplucher !) laissé tomber les éditions Dèsque pour des cerises (aujourd’hui, il cultive son jardin). Vous m’opposerez que les promesses d’après coup ne mangent pas de pain… Il y avait eu Gaston aussi, qui m’aurait carrément introduit à la Pléiade, s’il n’était pas mort déjà ! Je ne l’avais pas cru mais il avait insisté :
- Y a bien eu Gracq, pourtant plus soporifique que vous !
Il avait osé prétendre ça, feu Gaston, il avait exagéré, personne n’a jamais exprimé l’attente comme cet écrivain sur le tard, ce grand pote de Breton, l’André de Nadja, mais le Gracq, il avait toujours refusé d’entrer au club coco – qu’attends-tu pour adhérer merde, faut te décider, je n’en peux plus d’attendre ! gémissait le pape des vases communicants… Le Julien, il n’avait même pas voulu du prix Goncourt - allez tous chier ! C’était pour son chef-d’œuvre, les rivages du bout de la nuit, peu de lecteurs avaient tenu jusqu’à ce bout, tous avaient joui avant ! Bon, mais revenons à la poussière, c’est-à-dire moi… Y a un autre éditeur aussi, qui m’avait assuré que mon écriture passerait mieux en Amérique ! J’étais d’accord, ils ne lisent pas le français là-bas, sont toujours un peu en avance sur nous ! En France, je compte autant de lecteurs qu’un auteur à succès avant son passage à la télé - trois ou quatre, je vous jure ! Enfin, potentiellement, parce que maintenant, ils vous fabriquent du best-seller avec les paquets de lecteurs qui vont avec, c’est en kit, du tout compris, dans une pochette sans surprise, mais ils ont un autre nom, plus commercial, du tout en un, une formule pour bien vendre quoi, comme pour les téléphones, l’Internet et la télé, le bouquet. Tu rafles tout le lot d’un coup, ça fonctionne de la sorte dans une société qui pousse à la consommation, le rien c’est le tout, alors maintenant les grosses machines de l’édition, elles fabriquent les lecteurs en même temps que le bouquin - ah ce nom m’échappe ! Un forfait ? Une forfaiture ? Non, c’est un vocabulaire à rallonge, je ne retrouve plus ce mot valise, j’ai dû l’abandonner dans une gare, des artificiers l’auront fait exploser !
Donc on confectionne le livre, les lecteurs, et concomitamment l’auteur, l’ensemble coulé dans le même moule. Un auteur boule de neige qui roule, et qui devient énorme à mesure que tombent ces réclames télévisées qui font office d’apostilles, ces petits crachats blancs qui recouvrent lentement les écrans, les postillons qui font saliver les amoureux de belle langue, les languissants, les fous des prix littéraires ! Il est le bonhomme de génie qu’il faut avoir lu, c’est du génie qui fond comme neige au soleil mais qui se vend comme des petits pains ! Voilà, je me suis encore éloigné de moi, de ma goutte d’eau… Je replonge donc dans ma soupente. Dans l’univers minuscule du non lu, j’avais également sollicité, et drôlement poliment, avec une bafouille d’accompagnement et du cher monsieur long comme le bras, un passionné de poésie pour qu’il me ficelât mes poèmes, mais je dois d’abord vous expliquer : le type de la ficelle, c’est un artiste, il pique et coud les œuvres des poètes, il les vêt d’une jolie reliure en ficelle – pas comme de la rosette dans un filet, pas du tout, faut voir son boulot, c’est du string de sonnet ! De la soutache d’alexandrin ! De la mignardise de vers blancs ! Hélas, je n’avais pas la plastique pour enfiler cette ficelle,  je n’avais pas une bobine à enrouler ce fil :
– Vous ne pourriez pas me coudre rien qu’un ourlet alors ?
Je l’avais imploré mais que nenni, pas question de passer avec ce fil dans le trou de son aiguille ! Il trouvait mon style trop chameau, enfin désertique, trop bosselé, voire miaulant, il m’avait méchamment conseillé d’emmener mes chats mots de gouttière ailleurs, d’ailleurs son programme était bouclé jusqu’en 2284 !
Je m’étais retourné vers les éditions Aspérule, timidement, pas prétentieux pour deux sous, je ne demandais pas la lune cette fois, mais mon introduction dans une de ses collections, la collection les minuscules ! Patatras, mon écriture n’était pas assez consistante pour du caille-lait - j’avais la phrase trop sombre pour du laitage !
Ensuite, y avait eu Beau texte, lui, il mettait tout ce que je lui expédiais dans un répertoire de son ordi comme il disait, la poubelle, ça ne lui prenait pas de place, il la vidait à mesure ! Un jour de grève des éboueurs, il m’avait téléphoné. À croire qu’il avait profité de cette accumulation inopinée d’ordures pour en savoir un peu plus sur mézigue ! Je lui avais joué du violon, comme à mon habitude avec ces gens-là, j’étais d’accord avec ses goûts - les poètes de la beat, la poésie qui jazze, j’adore bien sûr, ô oui, longtemps je me suis couché soixante-huitard ! Pas contrariant, j’étais, j’avais juste fourché sur un détail sans importance : il avait parlé de Charles et j’avais cru qu’il parlait du général, les Français parlent aux Français, les sanglots, radio Londres, tout le bastringue !
– Mais non putain, je te cause du vieux dégueulasse, de Buk ! qu’il m’avait braillé dans l’écouteur, l’homme de lettres.
Ah bon, j’avais fait comme si j’avais lu ce Beurk, mais j’avais bien senti que je ne l’avais pas convaincu. Après, le Beau texte, il avait voulu savoir si j’étais raciste ! Je l’avais aussitôt rassuré :
-Moi, pas du tout ! Les bamboulas, tous les immigrés, je les aime, moi tout seul déjà, je suis macaroni de père et quiche de mère, c’est dire ! Je repends Mussolini par les pieds  et je lui recrache dessus, je le repiétine avec mes frères communistes, on n’est pas démocrates à moitié, nous ! Hitler, j’explose son bunker à nouveau ! Si ça ce n’est pas un gage de belle écriture, je mange mon stylo !
Mais ça ne lui avait pas suffi à l’éditeur, il m’avait poussé dans mes retranchements, il avait sorti la carte qui ne pardonne pas : Noah ! Et je ne m’étais pas dégonflé :
- Saloperie ! Mais c’est mon chanteur de raquette préféré ! Avec Zidane bien sûr, les deux mamelles de la France !
J’avais mal ouï, aïe, il avait évoqué Zola et non pas Noah ! Aussi sec, j’avais rebondi, trop vite, peut-être :
-Zola mais j’ai failli m’appeler Marzola !
Il ne disait plus rien dans le téléphone, il accusait le coup, j’avais poussé le bouchon trop loin dans ses oreilles ou c’était moi qui n’entendais plus rien ! Et j’avais voulu une fois de plus jouer au petit malin, pasticher l’esthétique des poètes de son écurie et, dans un rire qui sonnait faux et gras, je lui avais glissé mon affaire prépuce, qu’à force de me taper des queues, j’étais devenu sourdingue ! Du coup, j’avais marqué un point parce qu’alors il m’avait lu un poème d’un type qui se masturbait dans un hamburger, qui avait la solitude collée au slip et le slip collé sur sa peau ! Le truc m’avait dégoûté, mais j’étais végétarien et hypocrite, j’avais applaudi – quelle poésie, du blanc de génie ! Qu’ajouter à cette béchamel  sans risquer de perturber l’onctuosité rythmique ? Et pourquoi que j’aurais craché dans la soupe, hein !
Quel talent il faut avoir pour être publié ! Pour Beau texte
, je n’étais pas à la bonne hauteur d’homme, à cause que j’étais trop et à la fois pas assez ! Décidemment, c’est une hauteur bien particulière que celle du monde de l’édition : pour la relever, et tomber juste, l’auteur doit s’allonger sur le lit de Procuste !
8 Commentaires
Yvette Vasseur (YZA° link
14/12/2015 02:31:18 pm

ah ! les affre-eux de l'édition.....

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Lucchesi Jacques link
14/12/2015 03:03:52 pm

Une écriture endiablée, un humour vachard qui force le rire. L'auteur a tout compris du jeu littéraire et fait passer ses idées au soufflet de la fiction. Forcément, ça chauffe, ça enfle, ça retombe. Bref: on en redemande.

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Chris Bernard
14/12/2015 07:06:38 pm

Ah, ces éditeurs ! Mais il est difficile de s'en passer... Chris

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Tilou
17/12/2015 03:17:01 pm

Super. ... Dans le genre. ... Ils sont tous affreux ces éditeurs. .... drôle et alerte. ... Et maintenant je aimeraisuis un autre texte.... Ce sujet ou un autre du même auteur. .. Et oui. ... ☺

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Colette link
19/12/2015 07:51:03 pm

Enchantée, Fabrice Marzuolo. Merci pour ce bon moment de lecture.

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Irène Duboeuf link
21/12/2015 05:57:19 pm

Dans cette critique impitoyable, Fabrice Marzuolo manie l'humour avec délectation. Il joue avec les images et les mots mais il rit jaune.
Si la dernière phrase (plus une conclusion qu'une chute) m'interroge (un auteur doit-il nécessairement "s’allonger sur le lit de Procuste" pour que son manuscrit trouve un éditeur ? ), la nécessité de cibler ne laisse aucun doute. Ne pas compter son temps, ses lectures, ses rencontres... parfois au détriment de l'écriture elle-même. Et se rappeler que l'éditeur choisi aura toujours – au minimum – deux critères de jugement diamétralement opposés : un critère rationnel (=aspect commercial) car imprimer un livre n'a de sens que si celui-ci est diffusé et mis en vente (mais alors, qui sera susceptible de l'acheter ?) et un critère irrationnel : le coup de cœur, par essence même, imprévisible !

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Sandrine
22/12/2015 12:17:40 pm

Une écriture que j'apprécie car beaucoup de subtilité pour faire passer un message ...

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szollosi Line
27/1/2016 10:07:57 pm

Alerte et endiablé, très drôle avec toutes sortes de trouvailles, on reconnait bien là Fabrice Marzuolo ! Marzola presque ! On aimerait lire d'autres textes du même tonneau ! Avis aux éditeurs !

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