Pourquoi la nouvelle ?
Quiconque cherche à dévoiler sa subjectivité emprunte la voie du roman. D’ailleurs il ne l’emprunte même pas, sa subjectivité est roman, sa vie est roman, le roman est sa voix intérieure. Cette compénétration entre vie et roman est telle que celui-ci cesse d’être perçu comme une forme littéraire, c’est-à-dire comme une construction obéissant à des codes arbitraires, pour devenir le décalque de nos vies. Une voie d’expression naturelle qu’on est incapable de cerner et encore moins de remettre en question. Dès lors la tâche du romancier est essentiellement technique. Elle consiste à écrire le meilleur roman possible, le plus émouvant, le plus vrai, le plus efficace, mais en aucun cas à s’interroger sur la forme que le roman lui impose.
On peut contester l’idée que le roman nous impose une forme. La force du roman ne réside-t-elle pas dans la liberté qu’il laisse aux auteurs, dans sa capacité à intégrer toute sorte de formes, dans sa souplesse infinie ? Il semblerait toutefois que cette dimension protéiforme fasse de plus en plus défaut au roman actuel. La question doit donc d’être reformulée : pourquoi les romanciers contemporains font si peu usage de la liberté que le roman leur permet ? Celle que des romanciers tels que Joyce, Faulkner, Proust ou Woolf ont eu à cœur d’exercer autrefois ? Pourquoi le roman actuel se tourne-t-il vers des formes héritées essentiellement du XIXème siècle au lieu d’explorer de nouvelles voies ?
Nous avons affirmé pour commencer que la subjectivité est roman, que le roman est notre voix intérieure. Cette affirmation vaut réponse. A quoi bon, en effet, explorer de nouvelles formes, quand celle dont on dispose nous convient parfaitement ? Rien de ce que le romancier contemporain aurait à dire ne nécessite la recherche de nouvelles formes. Il peut se contenter de répéter à l’infini la langue et la grammaire dont il hérite et qu’il se doit de faire prospérer. L’hégémonie symbolique du roman et l’incapacité où nous sommes de le saisir en tant que forme sont les deux faces d’une même médaille. Si le roman radote, s’exténue et s’académise, c’est précisément parce qu’aux yeux de la plupart des romanciers il triomphe.
Curieusement, dès que nous quittons la sphère du roman, et que nous nous aventurons sur les terres de la nouvelle et de la poésie, par exemple, cette sereine confiance nous abandonne. Quiconque écrit un poème aujourd’hui est tenu de se poser certaines questions inconfortables qui feront sourire le romancier le plus exigeant : Qu’est-ce que la poésie ? Qu’est-ce qu’être poète aujourd’hui ? A quelles conditions et suivant quelles formes la poésie est-elle encore possible ? Ces questions sont le préalable à toute pratique poétique digne de ce nom, si le poète les écarte ou les contourne, en se disant qu’après tout la poésie est la voie d’expression naturelle de son intériorité, il sera voué à reproduire de formes jugées naïves ou obsolètes. Il en va tout autrement pour le romancier qui peut enchaîner roman sur roman sans jamais se poser la moindre question sérieuse sur la forme.
Venons-en à la forme courte, puisque c’est elle qui nous intéresse en dernière analyse. On peut déplorer sa perte d’influence, son insuccès commercial, sa marginalité, mais on peut aussi s’en saisir comme d’une chance qui nous pousse à nous interroger sur ses codes et nous oblige à explorer de nouvelles voies. La crise de la forme courte peut être une chance à condition que nous n’écrivions pas des nouvelles comme d’autres écrivent des romans, c’est-à-dire en héritiers voués à la conservation d’un patrimoine.
Bernardo Toro
Editorial du n°40
Quiconque cherche à dévoiler sa subjectivité emprunte la voie du roman. D’ailleurs il ne l’emprunte même pas, sa subjectivité est roman, sa vie est roman, le roman est sa voix intérieure. Cette compénétration entre vie et roman est telle que celui-ci cesse d’être perçu comme une forme littéraire, c’est-à-dire comme une construction obéissant à des codes arbitraires, pour devenir le décalque de nos vies. Une voie d’expression naturelle qu’on est incapable de cerner et encore moins de remettre en question. Dès lors la tâche du romancier est essentiellement technique. Elle consiste à écrire le meilleur roman possible, le plus émouvant, le plus vrai, le plus efficace, mais en aucun cas à s’interroger sur la forme que le roman lui impose.
On peut contester l’idée que le roman nous impose une forme. La force du roman ne réside-t-elle pas dans la liberté qu’il laisse aux auteurs, dans sa capacité à intégrer toute sorte de formes, dans sa souplesse infinie ? Il semblerait toutefois que cette dimension protéiforme fasse de plus en plus défaut au roman actuel. La question doit donc d’être reformulée : pourquoi les romanciers contemporains font si peu usage de la liberté que le roman leur permet ? Celle que des romanciers tels que Joyce, Faulkner, Proust ou Woolf ont eu à cœur d’exercer autrefois ? Pourquoi le roman actuel se tourne-t-il vers des formes héritées essentiellement du XIXème siècle au lieu d’explorer de nouvelles voies ?
Nous avons affirmé pour commencer que la subjectivité est roman, que le roman est notre voix intérieure. Cette affirmation vaut réponse. A quoi bon, en effet, explorer de nouvelles formes, quand celle dont on dispose nous convient parfaitement ? Rien de ce que le romancier contemporain aurait à dire ne nécessite la recherche de nouvelles formes. Il peut se contenter de répéter à l’infini la langue et la grammaire dont il hérite et qu’il se doit de faire prospérer. L’hégémonie symbolique du roman et l’incapacité où nous sommes de le saisir en tant que forme sont les deux faces d’une même médaille. Si le roman radote, s’exténue et s’académise, c’est précisément parce qu’aux yeux de la plupart des romanciers il triomphe.
Curieusement, dès que nous quittons la sphère du roman, et que nous nous aventurons sur les terres de la nouvelle et de la poésie, par exemple, cette sereine confiance nous abandonne. Quiconque écrit un poème aujourd’hui est tenu de se poser certaines questions inconfortables qui feront sourire le romancier le plus exigeant : Qu’est-ce que la poésie ? Qu’est-ce qu’être poète aujourd’hui ? A quelles conditions et suivant quelles formes la poésie est-elle encore possible ? Ces questions sont le préalable à toute pratique poétique digne de ce nom, si le poète les écarte ou les contourne, en se disant qu’après tout la poésie est la voie d’expression naturelle de son intériorité, il sera voué à reproduire de formes jugées naïves ou obsolètes. Il en va tout autrement pour le romancier qui peut enchaîner roman sur roman sans jamais se poser la moindre question sérieuse sur la forme.
Venons-en à la forme courte, puisque c’est elle qui nous intéresse en dernière analyse. On peut déplorer sa perte d’influence, son insuccès commercial, sa marginalité, mais on peut aussi s’en saisir comme d’une chance qui nous pousse à nous interroger sur ses codes et nous oblige à explorer de nouvelles voies. La crise de la forme courte peut être une chance à condition que nous n’écrivions pas des nouvelles comme d’autres écrivent des romans, c’est-à-dire en héritiers voués à la conservation d’un patrimoine.
Bernardo Toro
Editorial du n°40