LE DELIRANT ESPRIT DE FAMILLE
Valério Romao
Editions Chandeigne
La famille chez Valério Romao ressemble à l’enfer de Jérôme Bosch où se promènent poissons-oiseaux, têtes humaines sans corps, hommes-arbres, souris-cheval. Un enfer qui, loin d’être morbide ou désespéré, se révèle aussi fou et enivrant qu’un carnaval ou une bacchanale. Sous l’angle de la métamorphose, cet écrivain portugais met en scène l’envers surréaliste des tares et atavismes ordinaires des familles.
Chaque nouvelle du recueil De la famille nous plonge à l’intérieur de l’oeil du cyclone familial où pleuvent les coups du destin - pauvreté, dépression, mort, maladie, alcoolisme, divorce, disputes, inondations. Mais grâce au point de vue poétique des narrateurs, ces malheurs au lieu d’abattre et tuer déclenchent une série de transformations dont l’auteur s’amuse à tirer le fil jusqu’à l’absurde et le fantastique.
Le narrateur enfant raconte dans Quand papa s’est mis à crever comment l’ingestion excessive de vin a gonflé le corps de son père jusqu’à le faire enfler comme un ballon et flotter jusqu’au plafond. Grâce à l’amour de son petit-fils, dans Peu à peu on a oublié grand-mère, la grand-mère atteinte d’Alzheimer se transforme rien que pour lui en une mère idéale et une jeune danseuse. Le regard de l’enfant angoissé et fiévreux (L’abime te regarde aussi longuement) transforme ses parents en couple satanique qui jette leurs invités dans un puits de flammes. Chassé par le père, le fils de Lorsqu’on a jeté mon frère dehors revient hanter le reste de la famille sous les traits d’un reflet derrière une fenêtre. Quand mon grand-père était le seul qui avait des branchies, en plus des poumons : alors qu’en plein déluge ils sont coincés au grenier de leur maison sans nourriture, le grand-père, grâce à des branchies gagnées lors d’un concours télévisé, se fait poisson, plonge sous l’eau et leur pêche de quoi survivre. Dans Sur la physique des particules…, suite à une chute, Rogério, deux ans et demi, se multiplie et se duplique en paire de jumeaux…
Dans la famille vue par Valerio Romao, on ne meurt pas, on mute, on se transforme, on devient un autre - c’est faire le choix de la folie contre le néant. Dans la magnifique nouvelle A mesure que nous avons récupéré maman, le frère aîné, pour aider son père inconsolable depuis la mort de son épouse, se met à imiter la mère disparue, sa voix, ses gestes, son esprit, jusqu’à, grâce au travestissement, devenir elle. Dans la dernière nouvelle, un serial-killer enlève des enfants, les séquestre et les dissèque au bistouri pour « essayer de trouver sous leur peau les traits de Rogério ou de Rita », ses enfants disparus. Une autre manière de suggérer que les figures familiales, même décédées, hantent pour toujours l’esprit de chacun.
Ces silhouettes monstrueuses sont d’autant plus impressionnantes qu’elles se dessinent sur un arrière-plan parfaitement réaliste et contemporain, rythmé par les sessions télé séries-jeu-journal, les repas de famille et les sorties au parc. Le souffle oral des monologues intérieurs, le ton analytique qui contraste avec l’absurde et la démesure de ce qui est décrit, la phrase qui dévale les lignes en cascade, se brise soudainement et retrouve un élan au paragraphe suivant, et surtout les surprenantes, et cocasses, métaphores qui transforme un poisson congelé en « sardine jurassique », un enfant en « fragile sapin malade », le chaos familial en « safari de bains et de dîners », font de ce livre un trésor baroque à découvrir de toute urgence.
Géraldine Doutriaux
De la famille de Valério Romao
Editions Chandeigne
176 pages 17 euros
Parution avril 2018
Ecouter un entretien de l'auteur autour de son livre
Valério Romao
Editions Chandeigne
La famille chez Valério Romao ressemble à l’enfer de Jérôme Bosch où se promènent poissons-oiseaux, têtes humaines sans corps, hommes-arbres, souris-cheval. Un enfer qui, loin d’être morbide ou désespéré, se révèle aussi fou et enivrant qu’un carnaval ou une bacchanale. Sous l’angle de la métamorphose, cet écrivain portugais met en scène l’envers surréaliste des tares et atavismes ordinaires des familles.
Chaque nouvelle du recueil De la famille nous plonge à l’intérieur de l’oeil du cyclone familial où pleuvent les coups du destin - pauvreté, dépression, mort, maladie, alcoolisme, divorce, disputes, inondations. Mais grâce au point de vue poétique des narrateurs, ces malheurs au lieu d’abattre et tuer déclenchent une série de transformations dont l’auteur s’amuse à tirer le fil jusqu’à l’absurde et le fantastique.
Le narrateur enfant raconte dans Quand papa s’est mis à crever comment l’ingestion excessive de vin a gonflé le corps de son père jusqu’à le faire enfler comme un ballon et flotter jusqu’au plafond. Grâce à l’amour de son petit-fils, dans Peu à peu on a oublié grand-mère, la grand-mère atteinte d’Alzheimer se transforme rien que pour lui en une mère idéale et une jeune danseuse. Le regard de l’enfant angoissé et fiévreux (L’abime te regarde aussi longuement) transforme ses parents en couple satanique qui jette leurs invités dans un puits de flammes. Chassé par le père, le fils de Lorsqu’on a jeté mon frère dehors revient hanter le reste de la famille sous les traits d’un reflet derrière une fenêtre. Quand mon grand-père était le seul qui avait des branchies, en plus des poumons : alors qu’en plein déluge ils sont coincés au grenier de leur maison sans nourriture, le grand-père, grâce à des branchies gagnées lors d’un concours télévisé, se fait poisson, plonge sous l’eau et leur pêche de quoi survivre. Dans Sur la physique des particules…, suite à une chute, Rogério, deux ans et demi, se multiplie et se duplique en paire de jumeaux…
Dans la famille vue par Valerio Romao, on ne meurt pas, on mute, on se transforme, on devient un autre - c’est faire le choix de la folie contre le néant. Dans la magnifique nouvelle A mesure que nous avons récupéré maman, le frère aîné, pour aider son père inconsolable depuis la mort de son épouse, se met à imiter la mère disparue, sa voix, ses gestes, son esprit, jusqu’à, grâce au travestissement, devenir elle. Dans la dernière nouvelle, un serial-killer enlève des enfants, les séquestre et les dissèque au bistouri pour « essayer de trouver sous leur peau les traits de Rogério ou de Rita », ses enfants disparus. Une autre manière de suggérer que les figures familiales, même décédées, hantent pour toujours l’esprit de chacun.
Ces silhouettes monstrueuses sont d’autant plus impressionnantes qu’elles se dessinent sur un arrière-plan parfaitement réaliste et contemporain, rythmé par les sessions télé séries-jeu-journal, les repas de famille et les sorties au parc. Le souffle oral des monologues intérieurs, le ton analytique qui contraste avec l’absurde et la démesure de ce qui est décrit, la phrase qui dévale les lignes en cascade, se brise soudainement et retrouve un élan au paragraphe suivant, et surtout les surprenantes, et cocasses, métaphores qui transforme un poisson congelé en « sardine jurassique », un enfant en « fragile sapin malade », le chaos familial en « safari de bains et de dîners », font de ce livre un trésor baroque à découvrir de toute urgence.
Géraldine Doutriaux
De la famille de Valério Romao
Editions Chandeigne
176 pages 17 euros
Parution avril 2018
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