L’année 2020 est celle du cinquantième anniversaire de la mort de Jean Giono : une belle occasion de rendre hommage à l’auteur, et plus particulièrement à une partie de son œuvre trop méconnue : ses nouvelles. Je m’intéresserai ici au recueil Solitude de la pitié (1932). Pour ma part, j’affectionne tout particulièrement le premier Giono, celui de la Trilogie de Pan (Colline, Un de Baumugnes, Regain), où l’auteur s’est attaché à décrire le monde rural de Haute-Provence, les gens de peu, la nature, avec une affection et une vigueur rarement égalées. En lisant Solitude de la pitié, j’ai eu plaisir à retrouver ses portraits mi-affectueux mi-moqueurs des paysans de cette région (par exemple dans la nouvelle « Joselet »), dans des textes où l’auteur s’amuse à pointer leurs petites marottes (« Jofroi de la Moussan ») ou leurs grandes folies (la pièce maîtresse du recueil est sans conteste la longue nouvelle « Prélude de Pan », racontant une scène de transe qui s’empare de tout un village et se termine en orgie).
Giono parvient dans ces textes brefs à donner une vision transfigurée de la nature, par le biais en particulier du travail sur la métaphore, souvent longuement filée (« Le mouton »), et qui opère une fusion systématique entre hommes, bêtes, plantes, paysages. Car, Giono est indéniablement un auteur à style, et l’on retrouve dans ce recueil les qualités d’écriture qui font toute la richesse de ses romans d’avant-guerre, au premier rang desquelles la poéticité.
La construction des nouvelles réunies dans ce recueil est elle aussi intéressante : si Giono reprend en grande partie à son compte un art traditionnel du conteur somme toute assez proche de celui de Maupassant (en exploitant en particulier le récit enchâssé, par exemple dans « Champs »), il n’a pas hésité à écrire des nouvelles moins canoniques, qui, s’éloignant de la nouvelle à chute, constituent des textes d’atmosphère, centrés, non sur des péripéties, mais sur la mise en scène d’une émotion, d’un instant privilégié (« Sylvie », ou « La main », qui constitue un joli instantané sensuel). Il préfigurait ainsi dès 1932 l’une des voies actuellement exploitées dans la nouvelle contemporaine, la « nouvelle-instant »1.
Olivia Guérin Aix Marseille Univ, CNRS, LPL, Aix-en-Provence, France.