NOVELLIX, LA MAISON D'EDITION SUEDOISE ARRIVE EN FRANCE
Entretien avec Lena Hammargren
Paris 14 juin 2022 — À l’occasion de la venue en France de Lena Hammargren, fondatrice des éditions Novellix, les Éditions Rue Saint Ambroise se sont entretenues avec cette éditrice suédoise spécialisée dans la nouvelle. La commercialisation en France de ses coffrets élégants regroupant plusieurs auteurs autour d’un thème débute juste. Coup de projecteur sur ce concept novateur qui donne la part belle aux histoires courtes.
Entretien avec Lena Hammargren
Paris 14 juin 2022 — À l’occasion de la venue en France de Lena Hammargren, fondatrice des éditions Novellix, les Éditions Rue Saint Ambroise se sont entretenues avec cette éditrice suédoise spécialisée dans la nouvelle. La commercialisation en France de ses coffrets élégants regroupant plusieurs auteurs autour d’un thème débute juste. Coup de projecteur sur ce concept novateur qui donne la part belle aux histoires courtes.

Florence Didier-Lambert : Avant d’être éditrice vous étiez je crois traductrice ?
Lena Hammargren : Oui, j’ai une formation de traductrice de l’allemand ou de l’anglais vers le suédois. Je suis de Stockholm, mais j’ai étudié à l’université de Uppsala. Pendant mes études j’ai rencontré une personne avec qui j’ai pu discuter du genre littéraire qu’est la nouvelle, de son format, que nous trouvions intéressant, et sur le fait qu’aujourd’hui les gens n’ayant plus le temps de lire, ce format court correspond au rythme auquel vit notre société. Nous savions aussi que les éditeurs en Suède n’aiment pas publier de nouvelles, qui, selon eux, se vendent mal. Nous pensions que c’était dommage, qu’il ne devrait pas en être ainsi. Donc durant cette formation universitaire nous avons beaucoup parlé. J’étais moi-même dans une situation particulière puisque je prenais souvent le train pour rentrer à Stockholm — le trajet dure une heure — et la seule lecture à ma disposition était des magazines, alors que moi je voulais lire de la fiction. Et dans la boutique de la gare je ne pouvais pas me décider à acheter un gros roman, sachant que j’en avais déjà 3 ou 4 qui m’attendaient sur ma table de chevet. Je suis donc allée à la caisse payer mon café et j’ai découvert une collection suédoise de petits livres, Pixi collection. C’est une collection de petits livres pour enfants qui date des années 50. Je les lisais quand j’étais jeune. Les livres coûtent à peu près un euro. Et j’ai remarqué que ces livres étaient de qualité, ne coûtaient pas cher et s’adaptaient à la situation du voyage. Et j’ai pensé, non pas à la nouvelle en elle-même et à son format, mais à la manière dont cette nouvelle est en général présentée, ainsi qu’à la manière dont aujourd’hui on consomme la culture. C’est du croisement de ces observations, celle du livre pour enfants, et celle des contraintes de temps dans lequel nous vivons, qu’est née l’idée de Novellix. Et avec mon amie, nous avons écrit trois pages dans lesquelles nous avons défini ce que nous voulions faire : les livres qui se vendraient par quatre, une nouvelle par livre, d’auteurs confirmés ou nouveaux, que l’on ne trouverait pas seulement en libraire, mais aussi dans des boutiques de cadeaux, dans les gares, dans les musées. Nous commencerions à les commercialiser en Suède, puis aussi dans d’autres pays, puisque c’est un concept qui n’existe pas nulle part ailleurs…
F. D. L. : Vous répondez à toutes mes questions à la fois !!! Revenons un peu en arrière… Votre intérêt pour la nouvelle naît-il de la lecture d’un auteur en particulier ? Par exemple de la lecture des nouvelles d’Hemingway ou de Fitzgerald ?
L. H. : Non. J’aimerais pouvoir dire cela, mais en réalité, c’est plutôt… J’aime lire, des livres de bonne qualité, et j’aimerais que les gens puissent en lire également, qu’ils ne soient pas effrayés par les auteurs classiques réputés difficiles. Ma réflexion vient moins de mon expérience de lectrice que de ce qui manque sur le marché pour inciter les gens à lire.
Ce qui s’est passé, c’est qu’après avoir rédigé nos trois pages, nous ne nous sommes pas tout de suite mises au travail. J’ai d’abord terminé ma formation et par coïncidence mes premières traductions pour une grande maison d’édition suédoise ont été celles de deux auteurs de nouvelles, très célèbres. Puis j’ai lu sur un site allemand que quelqu’un voulait démarrer un nouveau concept, appelé Pixi books, pour adultes, et j’ai pensé « Oh mon Dieu, c’est mon idée… »
Mais pour répondre à ta question, d’une certaine manière, je ne me rappelle pas mes premières expériences de lectures, mais plutôt celles, plus tard, des grands classiques, comme Virginia Woolf, Mansfield, ceux que vous publiez … (Rires).
F. D. L. : De la littérature anglaise ?
L. H. : Pas seulement. J’ai toujours aussi aimé les auteurs suédois contemporains.
F. D. L. : Quand on parle de formes brèves, on peut inclure aussi les contes bien sûr…
L. H. : Pendant les années 90, nous avons eu un « boom » d’auteurs de nouvelles contemporaines. Un petit boom, mais qui a laissé penser que quelque chose se passait de ce côté.
F. D. L. : Ce dont je me rends compte c’est que dès le départ tu as pris en considération deux aspects différents : l’un concernant le texte lui-même, et l’autre sa présentation, son habillage. Car je vois que les livres sont dans un coffret très joli, très bien fait …
L. H. : L’idée des coffrets n’est pas venue tout de suite. Juste l’idée que les livres devaient être vendus par quatre, quatre auteurs différents, pouvant également se vendre à l’unité. Après quelques années on a fait des coffrets et maintenant cela dépend des pays : au Danemark on les vend uniquement en coffret, en Suède les deux, en France en coffret. Et c’est d’ailleurs assez difficile à organiser. Au début c’était des auteurs contemporains et connus ; on allait les voir en leur demandant de nous écrire une nouvelle dont on aurait l’exclusivité pendant 6 mois. Après 6 mois, les auteurs pouvaient les publier en recueil, ou dans un magazine. Il était important pour nous de ne pas entrer en compétition avec d’autres maisons d’éditions. En quelques sortes on faisait le marketing d’un auteur, et l’auteur en général était très content ; ils ont tous accepté avec plaisir, parce que non seulement on leur faisait de la publicité, mais aussi on créait un marché pour la publication de nouvelles. Ils ne publiaient que dans certains journaux, et les maisons d’éditions refusaient de les publier en recueil.
F. D. L. : Donc vous avait fait des appels à textes ?
L. H. : Oui, on se réunissait, on choisissait qui devrait figurer dans notre collection, des auteurs que l’on avait lus, des jeunes auteurs et aussi des plus âgés… On n’a pas de préjugés sur l’âge… Les quatre premiers étaient des auteurs confirmés, juste pour montrer qu’il fallait désormais compter avec nous. Bien des gens nous ont demandé de publier des débutants. On leur a répondu qu’on serait heureux de le faire, mais au début il nous paraissait important d’avoir des gens connus…
F. D. L. : Connus et… vivants ?
L. H. : Oui, oui, contemporains. Et puis au bout de deux ans on s’est rendu compte qu’il y avait aussi les classiques…
F. D. L. : Donc vous avez commencé avec la création et vous avez continué avec les classiques… C’est intéressant. Et en Suède vous aviez un distributeur ? Dès le départ ?
L. H. : Au début, on était 2, puis 3, puis 4 à travailler ensemble, et après un an il n’y avait plus que moi. Je n’avais jamais envisagé d’être éditrice. J’aimais la littérature et je me suis dit : bon, si je veux réaliser ce rêve, comment vais-je faire ? Je ne connaissais rien à l’édition, à la diffusion, à la distribution et c’est pour cela que ça a marché ! Parce que si j’avais su comment cela fonctionnait je n’aurais rien entrepris. (Rires)
F. D. L. : Donc tu es allée voir toi-même les librairies ?
L. H. : Oui, oui, et je savais au fond que cela allait marcher, que cela prendrait de l’ampleur. Puis j’ai contacté les plus gros distributeurs, ce qui, je le savais, était trop cher pour notre entreprise, mais ce qui étaient important pour notre développement.
F. D. L. : C’est pour cela qu’on a pu trouver tes livres, dans les librairies, les boutiques, les gares ? Dès le début ?… Parce que tu avais avec toi de gros distributeurs ?
L. H. : Oui mais j’allais d’abord les vendre moi-même. En Suède les distributeurs n’ont pas le droit de vendre. Il y a ceux qui vendent et ceux qui distribuent…
F. D. L. : Oui, comme en France.
L. H. : Au début on a essayé avec les diffuseurs, mais ils nous ont pris pour des éditeurs conventionnels, mais nous on ne travaillait pas comme des éditeurs conventionnels, donc cela n’a pas marché. Et c’est moi toute seule qui suis allée les vendre.
F. D. L. : Et combien tu les vendais ?...
L. H. : Au début quatre euros par livre. Aujourd’hui les coffrets de quatre livres se vendent vingt euros.
F. D. L. : Ils sont très beaux, vraiment… La façon dont les livres et les coffrets sont réalisés… Le graphisme est très étudié.
L. H. : Comme tu vois ils sont différents les uns des autres, nous avions prévu que chaque « set » de 4, aurait un graphisme différent. C’était très important. Et une de mes collègues Lisa Benk, qui est une très très bonne graphiste, les a réalisés.
F. D. L. : Il y a-t-il un public pour les nouvelles en Suède, ou bien es-tu en train d’en créer un ?
L. H. : C’est vrai qu’en quelque sorte je participe à sa création. Au début nous nous sommes dit que cela ne marcherait jamais ! On me disait pourquoi tu ne publies pas des romans ? Mais cela n’arrivera pas ! Nous aimons publier des nouvelles et nous ne publierons jamais des romans !
F. D. L. : Tu es très rare. Et les Éditions Rue Saint Ambroise aussi. (Rires).
L. H. : Pour moi il était important de se concentrer sur une offre très claire. Pour ce qui concerne la création du public, je dirai oui et non. Cette année nous avons célébré nos 10 ans d’existence et c’est réconfortant de voir qu’en dix ans nous avons vendu 2 millions de livres. Nous voyons que le regard des gens sur la nouvelle a changé. Au début on ne pouvait même pas parler de ce qu’était la nouvelle. Il y a d’ailleurs un problème de dénomination : en suédois on dit novell, et je crois que c’est un peu la même chose en français, on dit nouvelle ou forme brève, alors qu’en anglais c’est très clair : on dit « short story », histoires courtes ! C’est parfait ! On comprend tout de suite. Mais en Suède quand je disais « novell », on me répondait, « Oh cela doit être de la poésie, je ne lis pas de poésie… » Ou bien « C’est trop compliqué, je ne peux pas lire des choses trop compliquées… » Et nous, on expliquait « C’est juste un format, cela peut être une histoire d’horreur, ou un texte sentimental, c’est une façon d’avoir une expérience de lecture, de pouvoir entrer dans un nouveau monde, en un temps court ». Moi j’adore ce format. Nous nous sommes battus durant des années avec de tels arguments. Oui, on peut dire qu’il y a eu un changement en Suède… Avec des gens comme Alice Monroe, qui a eu le prix Nobel, avec de plus en plus d’écrivains qui publient des nouvelles… Il est un petit peu plus facile maintenant de parler de nouvelle…
F. D. L. : Et tu as tout de suite pensé au support papier ?
L. H. : Nous avons aussi une diffusion numérique. Nous avons des ebooks et des audios- book.
F. D. L. : Depuis le début ?
L. H. : Presque. J’étais convaincue que la nouvelle elle-même est au cœur de tout. Après il faut voir comment la diffuser. Si tu marches dans la rue, tu peux l’écouter. Si tu es dans les transports, ou que tu prends un café, tu peux la lire sur papier, etc. Mais en Suède nous sommes les seuls éditeurs qui diminuent la part de diffusion virtuelle, et augmentent celle physique.
F. D. L. : Pourquoi ?
L. H. : Parce que tu ne fais pas une collection sur Internet. Sur Internet tu consommes de la lecture…
F. D. L. : Donc tu considères que ce n’est pas juste une histoire de phrases. C’est aussi un objet…
L. H. : Oui tout à fait. C’est ce qui fait que Novellix est unique…
F. D. L. : Le livre, les pages, le papier, le nom, où ça commence et où ça se termine, c’est aussi très important ?
L. H. : Oui bien sûr. C’est la moitié de la chose.
F. D. L. : Je suis on ne peut plus d’accord, bien sûr !
L. H. : Pour moi, je ne vais pas dire que c’est le futur, mais en un sens c’est la survie de la littérature. Si on veut que les jeunes lisent, ce qu’il faut c’est inspirer, stimuler la créativité, le jeu… Ces mots sont importants, c’est comme cela que l’on a commencé et ce sont des sensations que je voudrais communiquer.
Par exemple quand j’ai rencontré Sophie Langlais, j’étais à une foire, les deux dernières années avant le Covid, où nous avions deux stands : l’un avec les coffrets et les petits livres, et l’autre où l’on vendait les livres au kilo (!) ; il y avait des sacs de papiers, comme des sacs pour bonbons, et on vendait les livres au poids. Ce qu’on voulait : de la bonne littérature vendue au poids.
F. D. L. : Et quel stand a le mieux fonctionné ?
L. H. : En terme d’argent, c’est celui-là. Les gens adoraient ça. Au « candy store », les gens ajoutait des livres dans leur sac et demandaient : combien il pèse ce titre, et avec celui-là en plus, ça fait combien ? Alors que dans l’autre stand on vendait les boîtes à l’unité : une plus une plus une…
F. D. L. : Cela vous a fait de la publicité…
L. H. : Oui bien sûr !
F. D. L. : Dernière question : en combien de temps tu dirais que ton entreprise est devenue rentable ?
L. H. : C’est une bonne question… Les gens autour de moi, mon comité, mon fiancé, mes enfants, m’ont souvent demandé « Quand est-ce que tu vas t’en sortir ? » Je ne me contente pas de ce que j’ai réussi jusque là, je veux aller plus loin. J’aurai pu engager moins de gens, et me concentrer sur ce que j’avais au départ. Mais en un sens je continue de me battre pour continuer à investir, pour montrer ce que l’on fait. Mais la question de savoir quand est-ce que j’ai pu avoir mon premier salaire, et quand j’ai pu vivre de ce que je fais ?… Disons qu’après deux ou trois ans, j’ai pu arrêter de faire autre chose à côté. L’entreprise a grandi lentement mais continument. C’est beaucoup de travail et j’ai encore beaucoup de choses à accomplir, nous avons encore beaucoup de potentiel… Nous pourrions travailler avec les écoles, qui adorent notre concept, avec le théâtre…
F. D. L. : Oui, certainement. En résumé, ce qui me frappe moi c’est la combinaison de deux idées : l’édition de grand texte en un bel objet, que l’on peut acheter comme cadeau, comme objet décoratif. Je trouve la combinaison de ces deux idées bien pensée.
L. H. : Merci… Oui, quand on offre un livre, on peut en effet y ajouter un élément de séduction…
F. D. L. : En France on a un rapport quasi sacré à la littérature et l’idée de faire du livre un objet de décoration autant qu’un bon livre n’est pas très répandue.
Ulysse Lhuilier : Oui, en France ce qu’on trouve dans les gares, ce sont ce qu’on appelle des romans populaires du genre Dan Brown. « Des romans de gare », pas des classiques…
Anne Cauvel de Beauvillé : Combien de coffrets publiez-vous par an ?
L. H. : Quatre en moyenne en Suède, quatre au Danemark, et maintenant en France… On fait des coffrets par thèmes : le coffret « Prix Nobel », avec quatre nouvelles d’auteurs nobélisés, le coffret « Science fiction », le coffret « Feel good », le coffret « Littérature romantique »…
La discussion continue de façon informelle…
Nous souhaitons un grand succès à Novellix et à ses coffrets dont le premier en langue française est sorti récemment. Il regroupe sous le thème « Amants, amantes » des nouvelles de George Sand, Guy de Maupassant, Marceline Desbordes-Valmore et Marcel Proust. Ce coffret est disponible en commande sur le site novellix.fr mais aussi dans un réseau de librairies dans toute la France ( points de vente disponibles sur le site).
Lena Hammargren : Oui, j’ai une formation de traductrice de l’allemand ou de l’anglais vers le suédois. Je suis de Stockholm, mais j’ai étudié à l’université de Uppsala. Pendant mes études j’ai rencontré une personne avec qui j’ai pu discuter du genre littéraire qu’est la nouvelle, de son format, que nous trouvions intéressant, et sur le fait qu’aujourd’hui les gens n’ayant plus le temps de lire, ce format court correspond au rythme auquel vit notre société. Nous savions aussi que les éditeurs en Suède n’aiment pas publier de nouvelles, qui, selon eux, se vendent mal. Nous pensions que c’était dommage, qu’il ne devrait pas en être ainsi. Donc durant cette formation universitaire nous avons beaucoup parlé. J’étais moi-même dans une situation particulière puisque je prenais souvent le train pour rentrer à Stockholm — le trajet dure une heure — et la seule lecture à ma disposition était des magazines, alors que moi je voulais lire de la fiction. Et dans la boutique de la gare je ne pouvais pas me décider à acheter un gros roman, sachant que j’en avais déjà 3 ou 4 qui m’attendaient sur ma table de chevet. Je suis donc allée à la caisse payer mon café et j’ai découvert une collection suédoise de petits livres, Pixi collection. C’est une collection de petits livres pour enfants qui date des années 50. Je les lisais quand j’étais jeune. Les livres coûtent à peu près un euro. Et j’ai remarqué que ces livres étaient de qualité, ne coûtaient pas cher et s’adaptaient à la situation du voyage. Et j’ai pensé, non pas à la nouvelle en elle-même et à son format, mais à la manière dont cette nouvelle est en général présentée, ainsi qu’à la manière dont aujourd’hui on consomme la culture. C’est du croisement de ces observations, celle du livre pour enfants, et celle des contraintes de temps dans lequel nous vivons, qu’est née l’idée de Novellix. Et avec mon amie, nous avons écrit trois pages dans lesquelles nous avons défini ce que nous voulions faire : les livres qui se vendraient par quatre, une nouvelle par livre, d’auteurs confirmés ou nouveaux, que l’on ne trouverait pas seulement en libraire, mais aussi dans des boutiques de cadeaux, dans les gares, dans les musées. Nous commencerions à les commercialiser en Suède, puis aussi dans d’autres pays, puisque c’est un concept qui n’existe pas nulle part ailleurs…
F. D. L. : Vous répondez à toutes mes questions à la fois !!! Revenons un peu en arrière… Votre intérêt pour la nouvelle naît-il de la lecture d’un auteur en particulier ? Par exemple de la lecture des nouvelles d’Hemingway ou de Fitzgerald ?
L. H. : Non. J’aimerais pouvoir dire cela, mais en réalité, c’est plutôt… J’aime lire, des livres de bonne qualité, et j’aimerais que les gens puissent en lire également, qu’ils ne soient pas effrayés par les auteurs classiques réputés difficiles. Ma réflexion vient moins de mon expérience de lectrice que de ce qui manque sur le marché pour inciter les gens à lire.
Ce qui s’est passé, c’est qu’après avoir rédigé nos trois pages, nous ne nous sommes pas tout de suite mises au travail. J’ai d’abord terminé ma formation et par coïncidence mes premières traductions pour une grande maison d’édition suédoise ont été celles de deux auteurs de nouvelles, très célèbres. Puis j’ai lu sur un site allemand que quelqu’un voulait démarrer un nouveau concept, appelé Pixi books, pour adultes, et j’ai pensé « Oh mon Dieu, c’est mon idée… »
Mais pour répondre à ta question, d’une certaine manière, je ne me rappelle pas mes premières expériences de lectures, mais plutôt celles, plus tard, des grands classiques, comme Virginia Woolf, Mansfield, ceux que vous publiez … (Rires).
F. D. L. : De la littérature anglaise ?
L. H. : Pas seulement. J’ai toujours aussi aimé les auteurs suédois contemporains.
F. D. L. : Quand on parle de formes brèves, on peut inclure aussi les contes bien sûr…
L. H. : Pendant les années 90, nous avons eu un « boom » d’auteurs de nouvelles contemporaines. Un petit boom, mais qui a laissé penser que quelque chose se passait de ce côté.
F. D. L. : Ce dont je me rends compte c’est que dès le départ tu as pris en considération deux aspects différents : l’un concernant le texte lui-même, et l’autre sa présentation, son habillage. Car je vois que les livres sont dans un coffret très joli, très bien fait …
L. H. : L’idée des coffrets n’est pas venue tout de suite. Juste l’idée que les livres devaient être vendus par quatre, quatre auteurs différents, pouvant également se vendre à l’unité. Après quelques années on a fait des coffrets et maintenant cela dépend des pays : au Danemark on les vend uniquement en coffret, en Suède les deux, en France en coffret. Et c’est d’ailleurs assez difficile à organiser. Au début c’était des auteurs contemporains et connus ; on allait les voir en leur demandant de nous écrire une nouvelle dont on aurait l’exclusivité pendant 6 mois. Après 6 mois, les auteurs pouvaient les publier en recueil, ou dans un magazine. Il était important pour nous de ne pas entrer en compétition avec d’autres maisons d’éditions. En quelques sortes on faisait le marketing d’un auteur, et l’auteur en général était très content ; ils ont tous accepté avec plaisir, parce que non seulement on leur faisait de la publicité, mais aussi on créait un marché pour la publication de nouvelles. Ils ne publiaient que dans certains journaux, et les maisons d’éditions refusaient de les publier en recueil.
F. D. L. : Donc vous avait fait des appels à textes ?
L. H. : Oui, on se réunissait, on choisissait qui devrait figurer dans notre collection, des auteurs que l’on avait lus, des jeunes auteurs et aussi des plus âgés… On n’a pas de préjugés sur l’âge… Les quatre premiers étaient des auteurs confirmés, juste pour montrer qu’il fallait désormais compter avec nous. Bien des gens nous ont demandé de publier des débutants. On leur a répondu qu’on serait heureux de le faire, mais au début il nous paraissait important d’avoir des gens connus…
F. D. L. : Connus et… vivants ?
L. H. : Oui, oui, contemporains. Et puis au bout de deux ans on s’est rendu compte qu’il y avait aussi les classiques…
F. D. L. : Donc vous avez commencé avec la création et vous avez continué avec les classiques… C’est intéressant. Et en Suède vous aviez un distributeur ? Dès le départ ?
L. H. : Au début, on était 2, puis 3, puis 4 à travailler ensemble, et après un an il n’y avait plus que moi. Je n’avais jamais envisagé d’être éditrice. J’aimais la littérature et je me suis dit : bon, si je veux réaliser ce rêve, comment vais-je faire ? Je ne connaissais rien à l’édition, à la diffusion, à la distribution et c’est pour cela que ça a marché ! Parce que si j’avais su comment cela fonctionnait je n’aurais rien entrepris. (Rires)
F. D. L. : Donc tu es allée voir toi-même les librairies ?
L. H. : Oui, oui, et je savais au fond que cela allait marcher, que cela prendrait de l’ampleur. Puis j’ai contacté les plus gros distributeurs, ce qui, je le savais, était trop cher pour notre entreprise, mais ce qui étaient important pour notre développement.
F. D. L. : C’est pour cela qu’on a pu trouver tes livres, dans les librairies, les boutiques, les gares ? Dès le début ?… Parce que tu avais avec toi de gros distributeurs ?
L. H. : Oui mais j’allais d’abord les vendre moi-même. En Suède les distributeurs n’ont pas le droit de vendre. Il y a ceux qui vendent et ceux qui distribuent…
F. D. L. : Oui, comme en France.
L. H. : Au début on a essayé avec les diffuseurs, mais ils nous ont pris pour des éditeurs conventionnels, mais nous on ne travaillait pas comme des éditeurs conventionnels, donc cela n’a pas marché. Et c’est moi toute seule qui suis allée les vendre.
F. D. L. : Et combien tu les vendais ?...
L. H. : Au début quatre euros par livre. Aujourd’hui les coffrets de quatre livres se vendent vingt euros.
F. D. L. : Ils sont très beaux, vraiment… La façon dont les livres et les coffrets sont réalisés… Le graphisme est très étudié.
L. H. : Comme tu vois ils sont différents les uns des autres, nous avions prévu que chaque « set » de 4, aurait un graphisme différent. C’était très important. Et une de mes collègues Lisa Benk, qui est une très très bonne graphiste, les a réalisés.
F. D. L. : Il y a-t-il un public pour les nouvelles en Suède, ou bien es-tu en train d’en créer un ?
L. H. : C’est vrai qu’en quelque sorte je participe à sa création. Au début nous nous sommes dit que cela ne marcherait jamais ! On me disait pourquoi tu ne publies pas des romans ? Mais cela n’arrivera pas ! Nous aimons publier des nouvelles et nous ne publierons jamais des romans !
F. D. L. : Tu es très rare. Et les Éditions Rue Saint Ambroise aussi. (Rires).
L. H. : Pour moi il était important de se concentrer sur une offre très claire. Pour ce qui concerne la création du public, je dirai oui et non. Cette année nous avons célébré nos 10 ans d’existence et c’est réconfortant de voir qu’en dix ans nous avons vendu 2 millions de livres. Nous voyons que le regard des gens sur la nouvelle a changé. Au début on ne pouvait même pas parler de ce qu’était la nouvelle. Il y a d’ailleurs un problème de dénomination : en suédois on dit novell, et je crois que c’est un peu la même chose en français, on dit nouvelle ou forme brève, alors qu’en anglais c’est très clair : on dit « short story », histoires courtes ! C’est parfait ! On comprend tout de suite. Mais en Suède quand je disais « novell », on me répondait, « Oh cela doit être de la poésie, je ne lis pas de poésie… » Ou bien « C’est trop compliqué, je ne peux pas lire des choses trop compliquées… » Et nous, on expliquait « C’est juste un format, cela peut être une histoire d’horreur, ou un texte sentimental, c’est une façon d’avoir une expérience de lecture, de pouvoir entrer dans un nouveau monde, en un temps court ». Moi j’adore ce format. Nous nous sommes battus durant des années avec de tels arguments. Oui, on peut dire qu’il y a eu un changement en Suède… Avec des gens comme Alice Monroe, qui a eu le prix Nobel, avec de plus en plus d’écrivains qui publient des nouvelles… Il est un petit peu plus facile maintenant de parler de nouvelle…
F. D. L. : Et tu as tout de suite pensé au support papier ?
L. H. : Nous avons aussi une diffusion numérique. Nous avons des ebooks et des audios- book.
F. D. L. : Depuis le début ?
L. H. : Presque. J’étais convaincue que la nouvelle elle-même est au cœur de tout. Après il faut voir comment la diffuser. Si tu marches dans la rue, tu peux l’écouter. Si tu es dans les transports, ou que tu prends un café, tu peux la lire sur papier, etc. Mais en Suède nous sommes les seuls éditeurs qui diminuent la part de diffusion virtuelle, et augmentent celle physique.
F. D. L. : Pourquoi ?
L. H. : Parce que tu ne fais pas une collection sur Internet. Sur Internet tu consommes de la lecture…
F. D. L. : Donc tu considères que ce n’est pas juste une histoire de phrases. C’est aussi un objet…
L. H. : Oui tout à fait. C’est ce qui fait que Novellix est unique…
F. D. L. : Le livre, les pages, le papier, le nom, où ça commence et où ça se termine, c’est aussi très important ?
L. H. : Oui bien sûr. C’est la moitié de la chose.
F. D. L. : Je suis on ne peut plus d’accord, bien sûr !
L. H. : Pour moi, je ne vais pas dire que c’est le futur, mais en un sens c’est la survie de la littérature. Si on veut que les jeunes lisent, ce qu’il faut c’est inspirer, stimuler la créativité, le jeu… Ces mots sont importants, c’est comme cela que l’on a commencé et ce sont des sensations que je voudrais communiquer.
Par exemple quand j’ai rencontré Sophie Langlais, j’étais à une foire, les deux dernières années avant le Covid, où nous avions deux stands : l’un avec les coffrets et les petits livres, et l’autre où l’on vendait les livres au kilo (!) ; il y avait des sacs de papiers, comme des sacs pour bonbons, et on vendait les livres au poids. Ce qu’on voulait : de la bonne littérature vendue au poids.
F. D. L. : Et quel stand a le mieux fonctionné ?
L. H. : En terme d’argent, c’est celui-là. Les gens adoraient ça. Au « candy store », les gens ajoutait des livres dans leur sac et demandaient : combien il pèse ce titre, et avec celui-là en plus, ça fait combien ? Alors que dans l’autre stand on vendait les boîtes à l’unité : une plus une plus une…
F. D. L. : Cela vous a fait de la publicité…
L. H. : Oui bien sûr !
F. D. L. : Dernière question : en combien de temps tu dirais que ton entreprise est devenue rentable ?
L. H. : C’est une bonne question… Les gens autour de moi, mon comité, mon fiancé, mes enfants, m’ont souvent demandé « Quand est-ce que tu vas t’en sortir ? » Je ne me contente pas de ce que j’ai réussi jusque là, je veux aller plus loin. J’aurai pu engager moins de gens, et me concentrer sur ce que j’avais au départ. Mais en un sens je continue de me battre pour continuer à investir, pour montrer ce que l’on fait. Mais la question de savoir quand est-ce que j’ai pu avoir mon premier salaire, et quand j’ai pu vivre de ce que je fais ?… Disons qu’après deux ou trois ans, j’ai pu arrêter de faire autre chose à côté. L’entreprise a grandi lentement mais continument. C’est beaucoup de travail et j’ai encore beaucoup de choses à accomplir, nous avons encore beaucoup de potentiel… Nous pourrions travailler avec les écoles, qui adorent notre concept, avec le théâtre…
F. D. L. : Oui, certainement. En résumé, ce qui me frappe moi c’est la combinaison de deux idées : l’édition de grand texte en un bel objet, que l’on peut acheter comme cadeau, comme objet décoratif. Je trouve la combinaison de ces deux idées bien pensée.
L. H. : Merci… Oui, quand on offre un livre, on peut en effet y ajouter un élément de séduction…
F. D. L. : En France on a un rapport quasi sacré à la littérature et l’idée de faire du livre un objet de décoration autant qu’un bon livre n’est pas très répandue.
Ulysse Lhuilier : Oui, en France ce qu’on trouve dans les gares, ce sont ce qu’on appelle des romans populaires du genre Dan Brown. « Des romans de gare », pas des classiques…
Anne Cauvel de Beauvillé : Combien de coffrets publiez-vous par an ?
L. H. : Quatre en moyenne en Suède, quatre au Danemark, et maintenant en France… On fait des coffrets par thèmes : le coffret « Prix Nobel », avec quatre nouvelles d’auteurs nobélisés, le coffret « Science fiction », le coffret « Feel good », le coffret « Littérature romantique »…
La discussion continue de façon informelle…
Nous souhaitons un grand succès à Novellix et à ses coffrets dont le premier en langue française est sorti récemment. Il regroupe sous le thème « Amants, amantes » des nouvelles de George Sand, Guy de Maupassant, Marceline Desbordes-Valmore et Marcel Proust. Ce coffret est disponible en commande sur le site novellix.fr mais aussi dans un réseau de librairies dans toute la France ( points de vente disponibles sur le site).