Il va être question ici de Lunatik, parce que, connaissant un peu la bête, j’ai été pressenti pour la présenter. Alors que les choses soient bien claires : j’ai l’habitude de parler sans détours en ce qui concerne l’écriture, et je ne mâcherai pas mes mots. J’en veux pour preuve la cinglante appréciation qui suit. Ma sœur, chez qui j’étais en vacances, m’a présenté la liste des courses, je l’ai regardée, et lui ai dit sans ambages :
— Elle est nulle, ta liste ! Je suis comme ça. Quand j’ai eu fini de lire « Tous crocs dehors », je suis allé voir cet auteur à l’avatar taurin, l’ai toisé, et soufflé : — La vache ! Parce que, en ouvrant son recueil de nouvelles, vous pénétrez dans un microcosme étonnant, vous êtes trimballé de l’ébahissement à la frayeur, de l’abattement à l’enchantement, de la routine la plus mortelle à la loufoquerie la plus roborative. On serait tenté de dire : du rire aux larmes, mais même le vieux poncif ne fonctionne pas avec l’imprévisible Lunatik. Ses nouvelles joyeuses vous terrifient en vous faisant rire, et ses horreurs les plus cyniques vous font glousser et trembler en même temps. Et puis, en plein milieu de tout ça, vous atterrissez dans un havre de paix, une merveilleuse bluette qui s’étire nonchalamment et qui flâne, où rien d’autre ne survient, à votre ravissement croissant, que l’épanouissement de la complicité et de la tendresse.
Bon, arrêtez de rêver : la pause-câlin est de courte durée. Vous tombez tout de suite après sur un mini-poème désabusé, puis vous dégringolez dans le quotidien sordide de l’orphelinat, avant de basculer dans le tragi-comique d’une homosexualité refoulée. Tous les événements, ici, tous les sentiments sont déclinés avec une pureté d’écriture qui vous permet de remplacer avantageusement le gros dico sur votre table de nuit par la légère boîte de Kleenex : pas de phrases de trois pages, pas de considérations abstruses. L’auteur n’est ni Proust, ni Malraux, mais il vous offre une lecture déstabilisante et passionnante, une randonnée trop courte au gré de tous ceux qui l’ont faite. J’ai prêté ce livre à une amie, elle me l’a rendu en disant : « Je n’aime pas ce genre de choses. Trop dur. Pas mon style de lecture » Elle a ajouté, pensive et avec un rien d’étonnement : « Mais je n’ai pas pu le lâcher. Je l’ai lu d’une traite jusqu’au bout ». Voilà. Je vous avais bien dit que je ne lui ferais pas de cadeau, à ce bouquin. J’aurais aimé également vous parler de l’écrivain en tant que personne, de sa vie, de ses mœurs. De la marque de sa mousse à raser, ou de sa crème de nuit. De la taille de ses slips kangourous, ou de ses préférences en matière de parfums. Mais si je l’avais fait, j’aurais été contraint auparavant de demander un programme de protection des témoins, ou de prévoir une retraite sûre en Patagonie. Je me vois donc obligé de vous cacher que Lunatik est une créature discrète qui considère que le meilleur moyen de connaître un écrivain, c’est de lire ce qu’il écrit. Alors on va faire comme ça, hein. Et se régaler avec ses histoires. _____ Castor Tillon
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