Daniel Birnbaum
Combat de bosses
J’ai ouvert la porte, la pièce était vide. Seul le sol était meuble. J’ai ouvert les fenêtres, l’une ne donnait sur rien et l’autre sur rien de sûr. Je n’ai rien vu, peut-être était-ce aussi du vide. Je ne savais pas où j’étais, si j’étais dedans ou si j’étais dehors. La poignée de la porte était un gros point d’interrogation. Comme si la porte, ouverte sur l’inconnu, pouvait répondre à toutes les questions. Dans un coin il y avait une marche. Une seule, parce qu’il n’y avait qu’un seul coin.
J’ai ouvert la porte, la pièce était vide. Seul le sol était meuble. J’ai ouvert les fenêtres, l’une ne donnait sur rien et l’autre sur rien de sûr. Je n’ai rien vu, peut-être était-ce aussi du vide. Je ne savais pas où j’étais, si j’étais dedans ou si j’étais dehors. La poignée de la porte était un gros point d’interrogation. Comme si la porte, ouverte sur l’inconnu, pouvait répondre à toutes les questions. Dans un coin il y avait une marche. Une seule, parce qu’il n’y avait qu’un seul coin.
Je me suis installé. J’ai d’abord introduit une chaise dans le décor. La pauvre n’avait que trois pattes. Elle est restée sur la paille. Je n’en ai pas fait un drame. Après la chaise j’ai trouvé une table, pour mettre devant la chaise. Une table tout ce qu’il y avait de bien, avec quatre pieds, elle. La chaise jalouse tourna le dos à la table. Ce qui m’obligea à tourner le dos à la chaise. Je commençais à en avoir plein le dos de cette histoire de chaise tournante. Je me dotais aussi sec d’un canapé. Lui avait bon dos et ne me causa pas de problèmes. Ni d’autres choses d’ailleurs. Ce n’était pas une causeuse. Lorsque j’en avais marre du canapé je tournais autour de la table, dans un sens ou dans un autre. Ce qui avait pour effet de contrarier la chaise. Je m’achetai un lit, que j’installai dans le coin, en lit de camp. Le lit de camp de coin fut le trop qui fit disjoncter la base. Sous tous ces nouveaux meubles le sol qui n’était plus seul devint jaloux à son tour. Il me le fit comprendre en se retirant. Je tombai chez la voisine pour qui mon sol était son plafond. Elle ne m’en voulut pas. Je visitai sa pièce. Elle m’en rendit la monnaie en visitant la mienne. Elle était tout d’une pièce mais quand même mieux de face. De façon inattendue je retrouvai chez elle une patte de chaise qui tombait pile. Elle avait aussi une chaise à elle. Nous nous assîmes face à face, elle sur la chaise moi par terre. C’est là que je remarquai une bosse. Une énorme bosse rouge en plein milieu de son front, comme le début d’une corne en train de pousser. J’étais tombé chez une jeune licorne sans doute. J’aurais pu m’embrocher. On ne pouvait pas rater cette particularité, peu esthétique en réalité. Cette difformité même j’aurais pu dire.
Je me demandais comment sortir. La poignée de sa porte, qui était comme la mienne, ne m’aidait pas. J’étais bloqué là. Je demandai à la licorne comment faire. Elle me dit que sa porte ne s’ouvrait pas mais que pour sa part elle s’en sortait très bien. Et que je ne devais pas m’en faire. Je n’insistai pas. Sans doute devait-elle défoncer la porte pour sortir. D’où la bosse puis la corne. La vie des licornes m’est inconnue. Pourtant, il me semblait l’avoir déjà vue quelque part. Mais il est normal de croiser sa voisine de temps en temps. Elle me servi un café très fort, très chaud. Elle me passa la main sur le front. J’aurais trouvé ce geste trop familier si une douleur ne m’avait pas fait sursauter. Je me tâtai le front et découvris avec stupeur que j’avais moi aussi une bosse. Etais-je moi aussi une licorne ? J’étais secoué. Une pensée me traversa l’esprit. Peut-être n’y avait-il que des licornes dans ce monde ? Non, ce n’était pas possible. Si tout le monde avait une bosse ou une corne je ne trouverais pas cela moche. Ça ferait partie d’un code esthétique. Ce serait peut-être même une source de fierté. Il y aurait certainement des concours de longueur de corne. Il y a des concours pour tout et il y a tant de gens qui aiment ça. Non, mon dégoût de cette bosse me faisait penser qu’elle n’était pas un attribut généralisé ou permanent. Mais alors, d’où venait-elle ? Et pourquoi ma voisine avait-elle la même ?
Comment se faisait-il que je ne découvrais cela que maintenant ? Si ça se trouve je n’étais jamais sorti de chez moi. Et comme il n’y avait pas de glace je ne m’en étais pas rendu compte. Je découvris qu’il y avait une salle de bain. En fait nous étions dans la salle de bain. La pièce, carrelée de toute part, n’était qu’une salle de bain. Y compris le plafond, qui était revenu à lui et pas resté sur le carreau. C’était louche. La douche se trouvait dans un coin et le coin sur la touche. A touche-touche se trouvaient des tiroirs et sur les tiroirs un miroir. Je vis alors que mon front était bien affublé lui aussi d’un appendice disproportionné, aussi rouge que le sol. Mais était-ce bien réel dans ce miroir aux toilettes ? Pendant que j’avais le front dans la glace ma voisine avait de la glace sur le front. Elle essayait de repousser la pousse de la bosse, moi son aspect repoussant. Nous échangeâmes, je pris la glace, elle le miroir.
Le soir tomba faisant une ombre grise sur le sol. La licorne se leva et me servit à boire. Il n’y avait qu’un verre. Nous le partageâmes en deux. Je n’avais encore jamais vu la moitié d’un verre. Verticale j’entends. Nous bûmes chacun notre moitié. La nuit tomba à son tour, et sans surprise le sol devint noir. Heureusement, nos bosses brillaient et éclairaient la pièce. Peut-être étaient-ce des bosses solaires. Au loin, des lumières brillaient aussi. C’était donc bien un monde de bosses. Les choses étaient claires. Même de nuit. Soit tout le monde se tapait dessus pour développer une bosse la plus conséquente possible, soit les bosses poussaient spontanément. Je ne savais quelle hypothèse privilégier mais la première me semblait la plus probable.
Je m’endormis à même le sol qui avait décidé de rester tranquille. Quand le jour se leva je fis de même. J’avais toujours ma bosse ou ma corne, je ne savais plus très bien comment il fallait l’appeler. Ma voisine aussi. Je voulais sortir. La porte était ouverte. Un ascenseur se mit en marches, faisant un escalier. J’entrai dans sa cage. J’eus un peu de mal et dû pencher la tête pour éviter que ma corne ne dépasse. Je descendis et arrivai dans une rue. La circulation était intense. Tout le monde roulait sa bosse. Je me mis instinctivement à faire de même. Et me voilà en route. En rue plus exactement. Je ne savais où aller mais je suivais le mouvement. Je remarquai soudain que toutes les cornes étaient orientées dans le même sens. Elles avaient sûrement une fonction de guidage. En fait, c’étaient peut-être des antennes ? J’étais un insecte si ça se trouve. Je voyais les autres se toucher par leur corne antenne et je me mis à faire de même. Ce n’était pas désagréable, comme une petite décharge d’électricité. Nous avancions. Certains devaient savoir où aller. Soudain il y eu un trou noir et nous y tombâmes. Je ne voyais plus rien que le bout des cornes antennes qui était lumineux. Tout le monde se mit à ramper. Encore une fois le sol était meuble et on s’enfonçait. Ma bosse corne antenne servait de foret. Cette corne était multifonction. Je fouissais, je fouissais, on aurait dit une courtilière. J’ai foui comme ça plusieurs fois. Ça ne débouchait sur rien. Rien de solide du moins. Allait-on comme ça continuer à fouir toute la vie ? Non, car bientôt je vis une forte lumière. Des projecteurs. C’était une manifestation contre le gouvernement. La police tabassait. Je compris où l’on se procurait les cornes. Il fallait que je rentre chez moi. Je me suis mis à fouir de plus belle. J’ai retrouvé l’escalier. J’ai ouvert la porte, la pièce était vide. Heureusement, la voisine était dans le coin. Elle me prit la matraque des mains pour caler la chaise. Je pus enfin m’asseoir. La matraque était contente de se retrouver pied de chaise. Dure journée, dis-je à la voisine – mais était-ce bien la voisine ? - il y a des jours où il ne faudrait pas aller bosser.
Je me demandais comment sortir. La poignée de sa porte, qui était comme la mienne, ne m’aidait pas. J’étais bloqué là. Je demandai à la licorne comment faire. Elle me dit que sa porte ne s’ouvrait pas mais que pour sa part elle s’en sortait très bien. Et que je ne devais pas m’en faire. Je n’insistai pas. Sans doute devait-elle défoncer la porte pour sortir. D’où la bosse puis la corne. La vie des licornes m’est inconnue. Pourtant, il me semblait l’avoir déjà vue quelque part. Mais il est normal de croiser sa voisine de temps en temps. Elle me servi un café très fort, très chaud. Elle me passa la main sur le front. J’aurais trouvé ce geste trop familier si une douleur ne m’avait pas fait sursauter. Je me tâtai le front et découvris avec stupeur que j’avais moi aussi une bosse. Etais-je moi aussi une licorne ? J’étais secoué. Une pensée me traversa l’esprit. Peut-être n’y avait-il que des licornes dans ce monde ? Non, ce n’était pas possible. Si tout le monde avait une bosse ou une corne je ne trouverais pas cela moche. Ça ferait partie d’un code esthétique. Ce serait peut-être même une source de fierté. Il y aurait certainement des concours de longueur de corne. Il y a des concours pour tout et il y a tant de gens qui aiment ça. Non, mon dégoût de cette bosse me faisait penser qu’elle n’était pas un attribut généralisé ou permanent. Mais alors, d’où venait-elle ? Et pourquoi ma voisine avait-elle la même ?
Comment se faisait-il que je ne découvrais cela que maintenant ? Si ça se trouve je n’étais jamais sorti de chez moi. Et comme il n’y avait pas de glace je ne m’en étais pas rendu compte. Je découvris qu’il y avait une salle de bain. En fait nous étions dans la salle de bain. La pièce, carrelée de toute part, n’était qu’une salle de bain. Y compris le plafond, qui était revenu à lui et pas resté sur le carreau. C’était louche. La douche se trouvait dans un coin et le coin sur la touche. A touche-touche se trouvaient des tiroirs et sur les tiroirs un miroir. Je vis alors que mon front était bien affublé lui aussi d’un appendice disproportionné, aussi rouge que le sol. Mais était-ce bien réel dans ce miroir aux toilettes ? Pendant que j’avais le front dans la glace ma voisine avait de la glace sur le front. Elle essayait de repousser la pousse de la bosse, moi son aspect repoussant. Nous échangeâmes, je pris la glace, elle le miroir.
Le soir tomba faisant une ombre grise sur le sol. La licorne se leva et me servit à boire. Il n’y avait qu’un verre. Nous le partageâmes en deux. Je n’avais encore jamais vu la moitié d’un verre. Verticale j’entends. Nous bûmes chacun notre moitié. La nuit tomba à son tour, et sans surprise le sol devint noir. Heureusement, nos bosses brillaient et éclairaient la pièce. Peut-être étaient-ce des bosses solaires. Au loin, des lumières brillaient aussi. C’était donc bien un monde de bosses. Les choses étaient claires. Même de nuit. Soit tout le monde se tapait dessus pour développer une bosse la plus conséquente possible, soit les bosses poussaient spontanément. Je ne savais quelle hypothèse privilégier mais la première me semblait la plus probable.
Je m’endormis à même le sol qui avait décidé de rester tranquille. Quand le jour se leva je fis de même. J’avais toujours ma bosse ou ma corne, je ne savais plus très bien comment il fallait l’appeler. Ma voisine aussi. Je voulais sortir. La porte était ouverte. Un ascenseur se mit en marches, faisant un escalier. J’entrai dans sa cage. J’eus un peu de mal et dû pencher la tête pour éviter que ma corne ne dépasse. Je descendis et arrivai dans une rue. La circulation était intense. Tout le monde roulait sa bosse. Je me mis instinctivement à faire de même. Et me voilà en route. En rue plus exactement. Je ne savais où aller mais je suivais le mouvement. Je remarquai soudain que toutes les cornes étaient orientées dans le même sens. Elles avaient sûrement une fonction de guidage. En fait, c’étaient peut-être des antennes ? J’étais un insecte si ça se trouve. Je voyais les autres se toucher par leur corne antenne et je me mis à faire de même. Ce n’était pas désagréable, comme une petite décharge d’électricité. Nous avancions. Certains devaient savoir où aller. Soudain il y eu un trou noir et nous y tombâmes. Je ne voyais plus rien que le bout des cornes antennes qui était lumineux. Tout le monde se mit à ramper. Encore une fois le sol était meuble et on s’enfonçait. Ma bosse corne antenne servait de foret. Cette corne était multifonction. Je fouissais, je fouissais, on aurait dit une courtilière. J’ai foui comme ça plusieurs fois. Ça ne débouchait sur rien. Rien de solide du moins. Allait-on comme ça continuer à fouir toute la vie ? Non, car bientôt je vis une forte lumière. Des projecteurs. C’était une manifestation contre le gouvernement. La police tabassait. Je compris où l’on se procurait les cornes. Il fallait que je rentre chez moi. Je me suis mis à fouir de plus belle. J’ai retrouvé l’escalier. J’ai ouvert la porte, la pièce était vide. Heureusement, la voisine était dans le coin. Elle me prit la matraque des mains pour caler la chaise. Je pus enfin m’asseoir. La matraque était contente de se retrouver pied de chaise. Dure journée, dis-je à la voisine – mais était-ce bien la voisine ? - il y a des jours où il ne faudrait pas aller bosser.