Les Croix des champs
éd. L’Œil d’Or, coll. Fictions, 2015, 144 pages, 14 €
Les nouvelles rassemblées dans Les Croix des champs pla-cent un personnage face à l’irréversible : impossibilité de fonder le foyer espéré, de revenir à un projet ou à une ingénuité d’avant-guerre, de s’affranchir de désirs irrépressibles pour l’un et d’une situation d’exploitation pour l’autre, ou encore d’effacer son implication dans la mort pourtant accidentelle d’autrui.
éd. L’Œil d’Or, coll. Fictions, 2015, 144 pages, 14 €
Les nouvelles rassemblées dans Les Croix des champs pla-cent un personnage face à l’irréversible : impossibilité de fonder le foyer espéré, de revenir à un projet ou à une ingénuité d’avant-guerre, de s’affranchir de désirs irrépressibles pour l’un et d’une situation d’exploitation pour l’autre, ou encore d’effacer son implication dans la mort pourtant accidentelle d’autrui.
L’auteur peint les longues existences dont les jours sont ritualisés par les nécessités rurales ou montagnardes, mais aussi la brutalité de basculements. Ceux-ci peuvent être la conséquence d’une prise de décision, ou l’effet d’un accident. L’auteur ne privilégie pas l’un ou l’autre de ces ressorts narratifs : explorant les existences particulières les plus routinières, il semble vouloir en montrer les singularités et les bifurcations imprévisibles. Contraintes de subsistance et déterminismes sociohistoriques régissent durablement des vies qui sont un jour redéfinies par les contingences : incidents, rencontres, révélations poussent les personnages vers leur vérité intime, et les nouvelles jusqu’à une fin le plus souvent ouverte.
C’est dans la relation duale avec une figure antagoniste que vivent la plupart des personnages principaux. Cependant, si l’on considère l’ensemble des personnages figurant dans le recueil, on remarque qu’ils sont peut-être aussi nombreux à mourir sous le coup d’une violence de la nature que sous les coups ou les balles de leurs semblables. La nature est ici toujours sauvage, quoique aménagée par l’industrie des hommes qui y creusent des puits et y abritent des bêtes. Une conjonction entre nature et états d’âme est sensible dans ces nouvelles, sans être de l’ordre de la sensibilité romantique. Les rythmes et les contraintes du quotidien rural s’articulent avec les questionnements et les angoisses, comme avec les tensions relationnelles qui travaillent les personnages ; mais, modestes et rustiques, aussi peu portés à l’introspection qu’à la complaisance, ceux-ci ne se livrent guère aux épanchements lyriques. C’est à peine s’ils parlent. L’auteur, plutôt que de leur donner la parole, semble conduire avec eux une étude de la solitude en en recensant les formes : isolement, sentiment de sa propre différence, vulnérabilité.
On ne trouvera dans ces textes ni jugement ni analyse du chemin parcouru par le personnage ; celui-ci n’est prétexte à rien, il est intéressant en lui-même, non parce qu’il serait un sujet problématique, une personnalité exceptionnelle, piquante ou dérangeante, mais parce qu’il est le siège d’émotions authentiques. La nouvelle qui fournit son titre au recueil se distingue cependant des autres à cet égard : elle retrace la vie d’un homme de mauvaise foi, qui se gratifie, en casuiste corrompu, d’une scandaleuse et criminelle complaisance ; mais un lecteur naïf pourrait passer à côté de la condamnation tant elle est implicite. Si nombre de relations dans lesquelles les personnages sont engagés sont conflictuelles, des complicités muettes existent aussi, suscitées par la nécessité du labeur paysan, tues par soumission au cours des choses qui n’a pas laissé l’amour suivre sa pente ; affinités tacites, tendresses plus ou moins avouées structurent l’existence intime de ces personnages simples, et chargés sans y penser d’une expérience humaine intense et – peut-être ne faut-il pas craindre ici de répéter ce mot – authentique.
Maëlle Levacher
Publié à l'origine dans Lacauselitteraire.fr le 26/06/17
C’est dans la relation duale avec une figure antagoniste que vivent la plupart des personnages principaux. Cependant, si l’on considère l’ensemble des personnages figurant dans le recueil, on remarque qu’ils sont peut-être aussi nombreux à mourir sous le coup d’une violence de la nature que sous les coups ou les balles de leurs semblables. La nature est ici toujours sauvage, quoique aménagée par l’industrie des hommes qui y creusent des puits et y abritent des bêtes. Une conjonction entre nature et états d’âme est sensible dans ces nouvelles, sans être de l’ordre de la sensibilité romantique. Les rythmes et les contraintes du quotidien rural s’articulent avec les questionnements et les angoisses, comme avec les tensions relationnelles qui travaillent les personnages ; mais, modestes et rustiques, aussi peu portés à l’introspection qu’à la complaisance, ceux-ci ne se livrent guère aux épanchements lyriques. C’est à peine s’ils parlent. L’auteur, plutôt que de leur donner la parole, semble conduire avec eux une étude de la solitude en en recensant les formes : isolement, sentiment de sa propre différence, vulnérabilité.
On ne trouvera dans ces textes ni jugement ni analyse du chemin parcouru par le personnage ; celui-ci n’est prétexte à rien, il est intéressant en lui-même, non parce qu’il serait un sujet problématique, une personnalité exceptionnelle, piquante ou dérangeante, mais parce qu’il est le siège d’émotions authentiques. La nouvelle qui fournit son titre au recueil se distingue cependant des autres à cet égard : elle retrace la vie d’un homme de mauvaise foi, qui se gratifie, en casuiste corrompu, d’une scandaleuse et criminelle complaisance ; mais un lecteur naïf pourrait passer à côté de la condamnation tant elle est implicite. Si nombre de relations dans lesquelles les personnages sont engagés sont conflictuelles, des complicités muettes existent aussi, suscitées par la nécessité du labeur paysan, tues par soumission au cours des choses qui n’a pas laissé l’amour suivre sa pente ; affinités tacites, tendresses plus ou moins avouées structurent l’existence intime de ces personnages simples, et chargés sans y penser d’une expérience humaine intense et – peut-être ne faut-il pas craindre ici de répéter ce mot – authentique.
Maëlle Levacher
Publié à l'origine dans Lacauselitteraire.fr le 26/06/17